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LISA HANNIGAN – Interview – Paris, lundi 12 septembre 2016

Soyons francs, les cinq années qui ont séparé les deux derniers albums de Lisa Hannigan nous ont semblé bien longues, mais pas autant qu’à elle. Noyée dans le doute après la tournée de « Passenger », elle a mis du temps avant de composer de nouvelles chansons à la hauteur de ses attentes, et c’est Aaron Dessner de The National qui marqua le point de départ de ce nouveau chapitre. Une collaboration et un album qu’elle a pris le temps de nous décrire lors de son passage à Paris en première partie de The Divine Comedy à l’occasion des Pias Nites.

LISA HANNIGAN - Interview - Paris, lundi 12 septembre 2016

Cinq années se sont écoulées depuis ton dernier album, pourquoi as-tu mis si longtemps à revenir ?

Lisa Hannigan : J’ai tourné pendant deux ans et demi environ, presque trois même. C’est sans doute la principale raison. Normalement j’écris de nouvelles chansons en tournée mais là je ne l’ai pas fait, je ne sais pas pourquoi. Quand je suis rentrée chez moi j’ai eu beaucoup de mal à écrire de nouvelles chansons, ça m’a pris du temps. Et aussi ennuyeux que cela puisse paraître c’est simplement pour ça. Il m’a fallu beaucoup, beaucoup de temps pour écrire ce nouveau disque, et je ne parvenais pas à le faire avec fluidité. Ensuite j’ai enregistré en septembre dernier mais ça a encore pris du temps avant de le sortir. Ce fut donc bien plus long que ce que j’aurais aimé mais je suppose que c’était le temps nécessaire.

Tes deux premiers albums ont bien marché, penses-tu que cela a rendu les choses plus difficiles, peut-être pour trouver une nouvelle direction ?

Lisa Hannigan : Je ne sais pas, mais je pense qu’il faut aborder chaque album comme il vient. Évidemment comme le dernier est sorti il y a un moment je suis maintenant plus âgée, mes préoccupations ne sont plus les mêmes. Je voulais donc qu’il soit différent parce que je me sentais différente. Mais tout cela venait de moi, et non d’une influence externe qui m’aurait poussée à le faire sonner d’une certaine manière.

Et puis un jour Aaron Dessner t’a écrit, qu’as-tu ressenti à ce moment-là ?

Lisa Hannigan : Oh ! J’étais tellement heureuse, parce que j’aime beaucoup son groupe mais aussi parce que je me sentais coincée, incertaine de la direction dans laquelle j’allais m’engager. Je n’avais pas le sentiment que ce que je faisais fonctionnait alors quand j’ai reçu son email ce fut une bouffée d’oxygène. Nous sommes devenus des ‘correspondants musicaux’, il m’envoyait de la musique et je chantais dessus, mais ça m’a aidé à trouver le bon élan pour écrire mes propres compositions. Son arrivée fut vraiment la bienvenue !

LISA HANNIGAN - Interview - Paris, lundi 12 septembre 2016Et lorsqu’il t’a contactée pour la première fois, avait-il déjà une idée précise en tête ou était-ce juste une proposition de travailler ensemble un jour ?

Lisa Hannigan : Je crois qu’il m’a dit dans cet email « veux-tu que nous écrivions des chansons ensemble ? » ou « désires-tu que je produise ton prochain album ? ». C’était très ouvert et enthousiaste mais ça restait très général… et encourageant ! A ce moment-là je crois me souvenir avoir répondu oui à ces deux questions. J’aurais dit oui à toutes ses suggestions ! Et c’était vraiment super, ce fut une collaboration très fun.

Vous avez donc échangé des emails pendant un certain temps, à quel moment avez-vous décidé de vous rencontrer ? Les chansons étaient écrites ?

Lisa Hannigan : Nous avions vaguement écrit deux morceaux ensemble par email. Il est passé à Copenhague alors que j’étais à Londres, ce n’est pas si loin donc je suis partie là-bas pendant quelques jours pour le rencontrer. C’était bien de se voir enfin en face, nous avons ri comme si nous nous connaissions depuis longtemps ! Puis nous avons parlé des choses sur lesquelles nous avions travaillé ensemble. Ce n’était pas trop étrange de se rencontrer à ce moment-là parce que c’était un peu comme si nous nous connaissions déjà.

Une fois les chansons composées tu es partie les enregistrer à New York, dans une église ?

Lisa Hannigan : Oui une très belle église convertie en studio, un espace immense, et le studio était en bas, il s’appelle ‘Future Past’. Nous avons passé une semaine là-bas à enregistrer, c’est un très bel endroit qui est très demandé pour le chant. Nous y avons passé une semaine heureuse et relaxante à enregistrer toutes les chansons, mais ensuite Aaron les a emmenées avec lui pour les arranger pendant plusieurs mois, alors qu’il travaillait sur d’autres disques en même temps. Je recevais un email de temps en temps pour me dire « écoute, j’ai rajouté un ensemble de trombone sur ce morceau-là ! ». C’était vraiment bon, j’étais enchantée. C’était parfois des guitares ou d’autres cordes mais c’était bien de voir ces chansons se développer à distance.

Ce fut son rôle principal dans la création de cet album ?

Lisa Hannigan : Oui, il a une esthétique acoustique qui selon lui fonctionnerait sur ce disque, notamment le fait d’avoir une atmosphère assez austère et que ma voix apporte une richesse mélodique. C’était la notion sur laquelle il travaillait pour toutes les chansons. Certaines d’entre elles sont restées plus ou moins telles quelles après cette semaine d’enregistrement et d’autres ont reçu pas mal d’autres textures, mais la plupart étaient subtiles. Il a créé un son très riche, c’était plus ou moins son plan.

Mais a-t-il également pris part à la composition ?

Lisa Hannigan : Nous avons co-écrit trois chansons : ‘Ora’, ‘Lo’ et ‘Barton’, et j’ai fait le reste. J’ai aussi co-écrit ‘Fall’ avec Joe Henry et ‘Undertow’ avec Liam Arthur.

Le résultat est assez différent de tes précédents albums, c’était important pour toi de changer sinon le style, le ton de ta musique ? Tu chantes différemment.

Lisa Hannigan : Oui, mais je suis plus âgée tu sais ! Et la vie change avec le temps, notamment les choses auxquelles tu fais face au quotidien donc je considérais que la musique devait changer en conséquence.

‘Prayer For The Dying’ est une complainte plutôt bouleversante, de quoi parle-t-elle ?

Lisa Hannigan : La mère d’un ami à moi – qui est aussi mon amie – a été diagnostiquée en phase terminale. Elle et son mari ont fait face à ce diagnostic avec beaucoup de courage et surtout ensemble – il ont été marié plus de 40 ans. Et faire face à cela ensemble dans un laps de temps aussi court c’est une chose extraordinaire. La chanson parle de ça, elle parle d’eux et la façon dont ils ont fait face à une chose aussi terrifiante.

Cette chanson fut-elle un point de départ pour l’album ?

Lisa Hannigan : Non, ce n’était pas la première chanson que j’avais écrite mais elle était importante pour l’album par son style et son thème.

Tu as aussi mis en chanson un poème de Seamus Heaney, ‘Anahorish’, pourquoi as-tu choisi celui-ci en particulier ?

Lisa Hannigan : A l’époque où je n’arrivais pas à écrire de chansons – et pourtant j’ai vraiment essayé ! J’ai passé des journées entières à écrire des chansons horribles ! – je trouvais ça vraiment difficile. J’avais le sentiment de ne pas trouver la moindre parole, je ne savais pas sur quoi écrire. Donc j’ai eu envie de lire quelques poèmes de Seamus Heaney, simplement pour me nourrir, parce que je me sentais vide. Ils sont remplis de beaux textes et d’images et possèdent un côté songeur et réfléchi. Je suis tombée sur ‘Anahorish’ et on aurait vraiment dit une chanson, comme des paroles écrites sur une page. Et j’aimais aussi le thème, le fait d’être à la maison, un peu nostalgique, dans ses souvenirs, tout cela résonnait bien avec le disque. Je me suis dit que la mettre en musique serait un bon exercice, que ça me donnerait quelque chose à faire, sans penser que ça finirait sur l’album nécessairement. Mais j’ai pris tellement de plaisir à la chanter, à essayer de lui trouver une forme mélodique qui convienne à ses mots. Quand j’ai trouvé le bon air j’ai commencé à la chanter avec des amis à un concert en hommage à Seamus Heaney parce qu’il venait de décéder. Je l’ai ensuite chanté en live quelques fois et je me sentais vraiment à l’aise avec cette chanson, il fallait qu’elle finisse sur ce disque. J’adore tellement la chanter ! Ensuite je l’ai envoyée à sa famille pour avoir l’autorisation de l’inclure dans l’album et ils ont été très gentils, ils ont accepté. Et puis c’est un bel intermède au milieu de l’album.

C’est du Gaélique ?

Lisa Hannigan : En quelque sorte, c’est le nom de la paroisse où il a grandi, un peu comme une école.

Et lorsque tu avais du mal à écrire, y-a-t-il eu un moment où tu t’es dit, « voilà, je n’y arrive plus, j’arrête » !

Lisa Hannigan : Oui, je crois que tu penses toujours à la dernière chanson que tu vas composer. Tu ne sais jamais si tu seras encore capable d’écrire après. Ça s’applique à moi en tout cas, je ne suis pas très prolifique. Certaines personnes écrivent toute la journée, je suis sûr qu’ils ne s’en inquiètent jamais. Je ne suis jamais si rapide quand j’écris des chansons, et quand je le suis je trouve ça difficile. Et ça me rendrait très triste de ne plus y arriver, j’y ai pensé à un moment. Je savais que j’allais faire un disque mais je pensais que ce serait le dernier parce que je n’aurais plus envie de le faire après, mais maintenant je ne sais pas…

Prend le temps qu’il faudra !

Lisa Hannigan : Oui ! Il ne faut pas pousser les choses, n’est-ce pas ? En tout cas à ce moment-là c’était vraiment douloureux parfois.

LISA HANNIGAN - Interview - Paris, lundi 12 septembre 2016En tout cas tu peux en être fière !

Lisa Hannigan : Oui, je le suis ! J’adore ce disque, mais j’en étais moins sûre pendant que je l’écrivais. Mais la rencontre avec Aaron m’a beaucoup aidée, il m’a vraiment mise en confiance et fait beaucoup de commentaires sur ce que j’avais déjà écrit. Je crois que j’étais juste beaucoup trop seule, je n’étais plus autant à Dublin qu’auparavant, et je me suis retrouvée un peu prisonnière de mes pensées.

Pour revenir à l’album, pourquoi l’as-tu intitulé « At Swim » ?

Lisa Hannigan : On retrouve beaucoup ce sentiment d’être perdu sur l’ensemble du disque, solitaire et désorienté lorsqu’il s’agit de trouver sa place dans le monde. Se sentir à la dérive, comme si tu perdais le contrôle. Ces sentiments ont nourri toutes les chansons de l’album qui dégagent cette impression de malaise et de mise à l’écart.

Pour moi « Passenger » était un album sur les voyages et le fait d’être sur la route, alors que « At Swim », c’est un peu l’idée de vouloir rentrer dans son foyer et y trouver du réconfort.

Lisa Hannigan : Oui, absolument. Essayer de retrouver une maison. Ça parle de ça, sans aucun doute. Je sais où est ma maison, mais je m’en suis sentie déconnectée et je ne parvenais pas à trouver le moyen d’y revenir.

Le thème de l’eau est récurrent sur l’album : ‘We The Drowned’, ‘Undertow’… As-tu voulu développer un concept autour de l’eau ou des éléments ?

Lisa Hannigan : Au départ je me suis dit que j’allais appeler l’album ‘Weather’ parce que les chansons y faisaient beaucoup référence (au temps, ndlr), et ce sentiment d’être affecté par des choses sur lesquelles tu n’as aucun contrôle, mais ça ne collait pas. J’ai toujours des thèmes de chansons assez liés à l’eau, et aux substances sur mon premier album. C’est une métaphore riche pour moi, j’y reviens tout le temps et cet album n’est pas différent des autres. Je crois que la mer a pris une tournure plus sinistre que sur ce que j’avais fait ’auparavant.

Peux-tu me parler de la chanson ‘We, The Drowned’, c’est un moment particulièrement touchant sur l’album.

Lisa Hannigan : Oh, merci ! C’est la première chanson que j’ai écrite pour l’album et je l’aimais vraiment beaucoup. D’une certaine manière elle parle d’auto-sabotage, parfois tu prends des décisions et tu agis vraiment inconsciemment à l’encontre de tes meilleurs intérêts, comme si tu essayais de te désarmer. C’est ainsi que je me sentais en tout cas. Je me revoie en train de l’écrire dans mon bain et je toussais, comme si je ne pouvais pas en sortir – ce n’est pas pour cela que la chanson s’appelle ‘We The Drowned’ – mais je me souviens de ce sentiment de ne pas être capable de bouger, d’être complètement bloquée. Et la façon dont cette chanson bouge est très cathartique, il y a beaucoup de colère et de résignation, elle est étrange. Mais j’aime beaucoup la chanter, et c’est celle qui a tracé la voie de l’album, parce que c’est la première au sujet de laquelle je me suis dit que c’était la bonne.

Tu as travaillé avec ton frère sur la vidéo de ‘Ora’. Comment cela se passe-t-il, travailler avec son frère ?

Lisa Hannigan : C’est super de travailler avec lui. Nous avions déjà fait quelques vidéos ensemble, ‘Lille’ et ‘I Don’t Know’. Donc quand j’ai eu le disque je lui ai envoyé pour lui demander s’il pouvait l’écouter et voir si quelque chose l’inspirait pour une vidéo. Je trouvais que ‘Ora’ dégageait une sensation comme le fait d’être à la mer, et j’avais également toujours voulu faire un clip avec des ombres chinoises. Donc je lui ai parlé de cette idée qui me rappelait ‘The Owl And The Pussycat’, une histoire enfantine réalisée dans le même esprit. Il est en fait revenu avec une histoire totalement différente et vraiment très belle. Il a beaucoup de talent, c’est un scénariste, et il fait aussi beaucoup de clips.

Maintenant que cet album est écrit, enregistré, terminé et sorti tu vas enfin pouvoir partir en tournée, comment te sens-tu ?

Lisa Hannigan : Haha ! Je me sens si heureuse ! Et comme il a été si dur à faire j’apprécie encore plus, parce que j’adore partir en tournée et jouer sur scène, et je crois que j’étais un peu coincée là où je me trouvais. Maintenant qu’il est sorti je peux faire ce que j’adore dans la musique et j’espère que je serai capable d’écrire quelques chansons tout en faisant ça, comme ça je ne passerai pas les huit années suivantes à m’arracher les cheveux !

Propos recueillis à Paris le lundi 12 septembre 2016.

Un grand merci à Lisa Hannigan, Mathilde Boulanger et Jannifer Havet pour avoir rendue cette interview possible, ainsi qu’à toute l’équipe de Pias France.

Pour plus d’infos:

Lire la chronique de ‘At Swim’ (2016)

Lire la chronique de ‘Passenger’ (2012)

Interview, mardi 10 avril 2012
‘Voir « Knots » en session acoustique, mardi 10 avril 2012

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