Indie, Jazz, Bossa Nova : la musique de Mei Semones qui mêle des paroles en anglais et en japonais ne ressemble à aucune autre. La musicienne originaire du Michigan a commencé son parcours musical à l’âge de quatre ans par des cours de piano, avant de se tourner vers la guitare à 11 ans, inspirée par une scène de « Retour vers le Futur ». À la découverte de son premier album « Animaru », on se rend vite compte que le futur est désormais bien en marche, propulsé par son univers haut en couleurs où imagination et virtuosité font bon ménage…

Peux-tu te présenter un peu, me dire d’où tu viens et comment la musique est entrée dans ta vie ?
Je suis originaire d’Ann Arbor, dans le Michigan, aux États-Unis. C’est là que j’ai grandi avant de déménager à Boston pour aller à l’université, et après avoir obtenu mon diplôme, je me suis installée à New York. Je pense que ma première rencontre avec la musique a eu lieu quand j’avais quatre ans. Ma grand-mère a acheté un piano pour ma sœur et moi, et c’est donc à cet âge-là que j’ai commencé à prendre des cours de piano, puis je suis passée à la guitare à 11 ans. Et ce qui m’a donné envie de m’y mettre, c’est le film « Retour vers le Futur ». Dans ce film, il y a une scène où le personnage principal joue un morceau de Chuck Berry. Quand j’ai vu ça, je ne sais pas, j’ai trouvé qu’il avait l’air tellement cool que ça m’a donné envie de jouer de la guitare électrique. C’est comme ça que j’ai commencé. Et puis, quand je suis entrée au lycée, ils avaient un très bon programme de jazz, alors j’ai commencé à m’y intéresser. Je suis ensuite allé à Berklee où j’ai étudié plus en profondeur la guitare jazz avant d’obtenir mon diplôme. Et maintenant, je suis ici ! Je pense que c’est le seul instrument que je sache vraiment jouer !
Quand as-tu compris que tu voulais faire carrière dans la musique ?
Hum, je pense que c’était probablement vers le milieu du lycée, oui, à peu près à cette époque.. Ce n’était pas nécessairement une décision que j’avais prise. C’était plutôt quelque chose de progressif, à un certain moment j’ai compris qu’il n’y avait rien d’autre qui m’intéressait, et donc c’était en quelque sorte la seule option, c’était tout ce que je savais faire.
La signature chez Bayonet Records a-t-elle changé quelque chose pour toi ? Les précédents EP étaient-ils déjà sur le label ?
Au début tout était autoproduit. Je mettais juste sur les titres Distrokid, et c’était tout. Mais ensuite Bayonet a vraiment changé les choses pour moi. Je pense que le simple fait d’avoir le soutien d’un label fait toute la différence. Ils ont mené toute une campagne de publicité. Il y a une stratégie pour les réseaux sociaux, toutes ces choses que fait un label, et je pense que ça a vraiment aidé à faire connaître ma musique à plus de gens, c’est sûr.
L’une des particularités de ta musique est le fait que tu chantes en anglais et en japonais. Est-ce une chose que tu as commencé à faire dès le début, ou est-ce venu progressivement ?
Quand j’ai commencé à écrire des chansons, c’était au collège, et c’était toujours en anglais. La première chanson que j’ai écrite avec des paroles en japonais et en anglais, c’était à l’université en 2020, pendant ma deuxième année, et je dirais que ça a été un tournant pour moi. C’était le premier morceau que j’écrivais qui, selon moi, se rapprochait du type de musique que je voulais faire, et c’est le premier que j’ai sorti pour cette même raison. Donc ça ne s’est pas forcément fait progressivement. C’était plutôt : « Et si j’essayais ça ? », puis en le faisant j’ai vraiment aimé. Et ça a toujours été comme ça depuis.

D’où vient le titre « Animaru » et que signifie-t-il pour toi au-delà de sa traduction littérale ?
« Animaru » est l’une des chansons de l’album, et je pense qu’elle signifie pour moi qu’il faut apprendre à faire davantage confiance à son instinct, vivre en faisant ce que l’on veut faire. Ce sont en quelque sorte les thèmes principaux de l’album. Je me suis donc dit que ce serait un titre approprié pour l’album dans son ensemble. J’aime aussi le fait que « Animaru » soit la prononciation japonaise du mot anglais « animal ». Certaines personnes me demandent : « Pourquoi n’as-tu pas simplement intitulé l’album Animal ? » Et je leur réponds : « Eh bien, je voulais montrer qu’il contient aussi des paroles en japonais. » Mais en japonais, le mot « animal » se dit « dobutsu », ce qui est complètement différent. Donc, en utilisant la prononciation japonaise d’un mot anglais, j’ai l’impression que cela représente à la fois les deux langues et la musique.
En fait, il y a plusieurs références aux animaux, comme la pochette de l’album qui représente un rat avec des ailes. C’est aussi le titre d’une chanson. Que signifie-t-elle pour toi et qui a conçu la pochette de l’album ?
Les illustrations sont l’œuvre de ma mère. Elle est graphiste et illustratrice. Elle sera d’ailleurs présente ce soir, au concert ! Je pense que cette chanson signifie pour moi… Ça peut sembler négatif quand je l’explique, mais j’aime penser qu’il y a aussi un côté positif à ça : pour moi, « Rat with Wings », c’est une sorte de métaphore qui décrit le moment où tu te rends compte que ton ami, ou quelqu’un que tu crois connaître, n’est pas aussi gentil que tu le pensais. Au début, tu vois de belles ailes d’ange, et tu te dis : « Waouh, cette personne est incroyable ». Et puis tu te rends compte qu’elle est en quelque sorte un rat, ce qui est vraiment grossier à dire à propos de quelqu’un. Je ne sais pas si je devrais dire ça, mais ça arrive ! Ça ne veut pas dire que c’est une personne horrible pour toujours. Mais dans la situation précise dont je parle et que je chante, c’est comme si je disais : « Oh, je pensais que tu étais gentil, et puis tu ne l’as pas été avec moi. » Mais d’un autre côté, je vis à New York, et il y a beaucoup de rats qui courent partout, j’en suis sûre. Et en fait, je les aime bien, je les trouve mignons aussi.
Le Jazz, la Bossa, l’Indie, « I can do what I want » (Je peux faire ce que je veux) ressemble presque à une assertion sur ta musique qui change tellement d’une partie à l’autre de la chanson. L’album reflète-t-il ce sentiment de liberté à travers cette chanson et les autres ?
Oui, je pense que je peux faire ce que je veux. C’est clairement un thème similaire à celui de « Honeymoon ». Oui, c’est l’un des thèmes principaux de l’album, c’est vraiment exactement ce que ça veut dire : je peux faire ce que je veux !
Et la chanson « Dumb Feeling » parle de New York, n’est-ce pas ? En quoi le fait d’avoir vécu là-bas a-t-il façonné ton identité d’artiste ?
Oui, quand j’ai déménagé à New York, on jouait presque toutes les semaines, et ça a beaucoup contribué à notre développement en tant que groupe, le fait de se produire devant des gens, devant différents publics, etc. La ville m’inspire aussi beaucoup. Je pense que New York est un endroit où vont beaucoup de gens parce qu’ils ont un objectif précis en tête, une chose qu’ils veulent accomplir. Les gens déménagent à New York pour y accomplir quelque chose, et j’ai donc l’impression d’être entourée de beaucoup de personnes qui travaillent très dur ou qui sont très talentueuses, même si elles ne poursuivent pas un rêve. Vivre à New York est difficile, donc il faut un certain niveau d’engagement pour être là-bas. Et je pense que c’est pour cette raison que cet environnement est une source d’inspiration.
Penses-tu que tu aurais écrit un album différent si tu avais vécu ailleurs ?
Je suppose que oui. Sur des titres comme « Rat with Wings » et « Dumb Feeling », par exemple, je parle de trains, de rats, de déchets et d’autres choses du même genre. Et si je vivais ailleurs, je ne crois se pas que ce serait le cas, parce que j’ai tendance à écrire sur ce que j’ai vu ou vécu pendant la journée. Les chansons sont très influencées par mon lieu de vie, c’est certain.
En fait, en parlant d’être ailleurs, tu as enregistré l’album dans une ferme du Connecticut. Est-ce que cet environnement a influencé le son ?
Oui, je pense un peu. Une grande partie des percussions et des cordes ont été enregistrées dans une grange, ce qui a clairement influencé le son, car c’est un très grand espace en bois qui a une acoustique particulière. Et puis, même pendant l’enregistrement, quand il se fait tard dans la nuit, beaucoup de grillons et d’autres bruits se sont immiscés dans l’enregistrement, et même une vache en arrière-plan !
Malgré la technique et le mélange des genres dans tes chansons, ainsi que celui des langues, il te semble très important de garder les chansons très accessibles, très faciles à retenir pour le public.
Oui, je n’y réfléchis pas vraiment mais en plus d’aimer beaucoup le jazz et la bossa nova, j’ai aussi grandi en écoutant du rock, notamment Nirvana et les Smashing Pumpkins, et l’une des choses que j’aime chez eux, c’est qu’ils ont des mélodies vraiment entraînantes, et des progressions d’accords accrocheuses. Je pense que ça en fait aussi partie. Je veux que les gens écoutent une chanson et aient envie de la réécouter, ou de la chanter. J’essaie donc de faire en sorte qu’elle ne soit pas nécessairement entraînante, mais qu’elle reste dans la tête des gens.
Peux-tu me présenter un peu tes camarades du groupe ? Comment les as-tu rencontrés et quel rôle jouent-ils dans la création des chansons et l’enregistrement ?
Je les ai tous rencontrés à Berklee, certains d’entre eux dès ma première année. Je connais Noah, par exemple, qui joue de l’alto, depuis environ sept ans, ce qui est assez long. Nous jouons ensemble depuis un certain temps déjà, et ils jouent tous un rôle très important dans la musique. J’écris les accords, les paroles, le centre des chansons que je joue seule à la guitare. Ensuite, nous nous réunissons généralement en groupe et nous arrangeons le tout. Normalement, on fait une session avec les cordes, une autre avec la section rythmique, puis on se réunit tous à la fin pour jouer ensemble, et chacun donne une orientation générale, du genre « voilà l’idée générale de la chanson, voilà ce qu’elle signifie pour moi ». Cela peut être la dynamique, par exemple, des choses que je veux en solo et pas d’autres, c’est assez général. Mais leurs parties, ils les écrivent eux-mêmes. Je leur laisse le soin de le faire, car je ne joue pas de leurs instruments et je ne sais pas écrire des parties de cordes. Je ne serais certainement pas douée pour écrire des parties de batterie ou des lignes de basse. Ils sont tous très bons.
Nous parlions donc du Jazz et de la Bossa, des influences que l’on peut clairement entendre sur l’album. Mais qui sont les principaux artistes qui t’ont influencée ?
J’ai beaucoup écouté John Coltrane. C’est mon musicien préféré. J’aime aussi beaucoup Thelonious Monk et Bud Powell, Wes Montgomery, Jim Hall, Bill Evans, des gens comme ça. Je dirais Joe Pass, un peu, et aussi Grant Green, que j’écoutais beaucoup au lycée, les grands noms du jazz que tout le monde connaît. Et puis j’aime aussi beaucoup João Gilberto, je l’écoute beaucoup, ce sont mes principales influences. Évidemment, ma musique ne sonne pas comme ça. Cependant, en ce qui concerne les sensations que cette musique-là me procure, c’est un peu ce que je souhaite transmettre aux autres, si cela a du sens.

Et en ce qui concerne le Japon, y a-t-il des musiciens que tu aimerais faire connaître au monde entier ?
Oui, je pense que les gens la connaissent déjà un peu, mais j’aime beaucoup Ichiko Aoba. Elle est incroyable. C’est une artiste japonaise qui a sorti un album cette année. Kimishima Ohzora est également très bon. Et j’aime beaucoup Tricot aussi. C’est un groupe de math rock japonais.
Et tu suis les nouveautés qui sortent en ce moment ? Ou tu préfères les vieux classiques ?
J’écoute davantage de choses anciennes, c’est certain. Je n’écoute pas vraiment de musique récente. Quelques artistes, comme ceux que je viens de mentionner, ainsi que la musique de mes amis, mais je ne suis pas vraiment au courant des dernières sorties.
Je t’ai récemment entendue sur une chanson en collaboration avec Luna Li sur « Enigami ». Aimes-tu collaborer avec d’autres artistes ? Aimerais-tu le faire plus souvent ?
Oui, j’aime beaucoup ça. Je pense que j’ai encore beaucoup à apprendre sur la manière de procéder, ou sur ce qui fonctionne pour moi, car l’écriture de chansons est un processus très personnel, et il peut être difficile de trouver la meilleure façon de collaborer, mais je souhaite vraiment le faire plus souvent. Je trouve ça vraiment amusant. J’ai l’impression que même jouer avec mon groupe est une forme de collaboration dans un sens, parce que, évidemment, c’est moi l’artiste, il n’y a pas d’autre personne qui vient collaborer, mais écrire les différentes parties et les jouer ensemble, c’est un travail d’équipe.
Parlons un peu de la tournée. C’est ta première en tête d’affiche en Europe. Quel effet cela te fait-il ?
C’est génial. J’étais ici en avril dernier, et même comparé à ça, je suis vraiment surprise par le nombre de personnes qui viennent aux concerts. Ce soir, c’est complet, hier aussi, et Amsterdam également. Bruxelles ne l’était pas, mais il y avait quand même beaucoup de monde. Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de monde à Bruxelles pour écouter sa musique ! Oui, c’est vraiment incroyable.
Est-ce que tu es plus souvent invitée à jouer dans des clubs de jazz ou dans des salles de rock ?
Nous avons surtout joué dans des salles de concert rock, je pense que c’est ce sur quoi nous nous concentrons en ce moment. Mais il y aura probablement un moment où nous ferons des concerts dans des clubs de jazz, j’espère ! Mais oui, pour l’instant, on joue plutôt dans des salles rock, surtout parce qu’elles sont un peu plus accessibles pour notre public. Les clubs de jazz ont tendance à être plus chers, et il faut acheter une boisson, ou à manger, du moins dans ceux où je suis allée, mais ce n’est peut-être pas le cas ici. Je pense que c’est comme aux États-Unis et au Japon, où les billets sont un peu plus chers. Comme notre public est aussi plus jeune c’est plus facile à gérer comme ça.
Es-tu fière de mélanger différents univers musicaux et peut-être d’inciter ton public à découvrir de nouveaux genres grâce à ta musique, des genres qu’il n’écouterait peut-être pas habituellement ?
Oui, tout à fait. Je pense que ma musique est simplement un mélange des différents styles que j’ai écoutés, étudiés et que j’aime. Donc, si je peux faire découvrir à d’autres personnes la musique que j’aime, c’est génial !
Penses-tu que cela reflète un peu ta génération ? Aujourd’hui, les jeunes écoutent vraiment de tout et ont beaucoup d’influences. Te sens-tu appartenir à cette génération à travers ta musique ?
Je pense vraiment que, même parmi les gens que je connais, tout le monde écoute toutes sortes de musiques. Je crois aussi qu’il y a une certaine ouverture à la musique provenant de différents endroits du monde, et aussi de différentes langues. Beaucoup de mes amis écoutent de la musique dont ils ne comprennent pas les paroles. Ce n’était peut-être pas le cas auparavant. Et je trouve ça génial aussi, comme le fait pour moi d’aimer la musique brésilienne.
Merci beaucoup pour cette conversation, Mei ! Avant de conclure, quelle est la chose que tu aimerais que les gens ressentent ou retiennent lorsqu’ils écoutent « Animaru » ?
Je pense, j’espère que « Animaru » aidera les gens à se sentir réconfortés et moins seuls, et qu’il les incite également à faire ce qu’ils veulent et à suivre leurs passions. C’est ce que je fais.
Propos recueillis à Paris, le mercredi 10 septembre 2025.
Un grand merci à Mei Semones ainsi qu’à Sébastien Kervella de Modulor Records pour avoir rendue cette interview possible.
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