Vous êtes ici
Accueil > Interviews > OKKERVIL RIVER : « J’étais heureux, ça influe sur le résultat »

OKKERVIL RIVER : « J’étais heureux, ça influe sur le résultat »

Les albums d’Okkervil River se suivent mais ne se ressemblent pas. Deux ans après s’être réinventé en solo avec l’album « Away », Will Sheff, l’homme derrière le groupe, revient avec « In The Rainbow Rain », un disque à l’atmosphère beaucoup plus optimiste et rythmée, le fruit d’une création avec les musiciens qui l’entourent et qui l’ont rejoint sur sa dernière tournée. Le début d’un nouveau chapitre qu’il nous a raconté à l’occasion d’un showcase intime au magasin Fargo à Paris en mars dernier.

OKKERVIL RIVER - Interview - Paris, vendredi 30 mars 2018

Il y a deux ans tu es revenu avec “Away”, un disque qui marquait le début d’une nouvelle ère pour Okkervil River. Tu avais composé cet album seul, et enrôlé un groupe pour la tournée, je suppose que le contexte fut un peu différent pour « In The Rainbow Rain » ?

Will Sheff : Oui, à l’époque où j’ai commencé à travailler sur « Away », j’étais très fier du travail accompli sur « I Am Very Far « et « The Silver Gymnasium », j’aimais les musiciens avec qui je jouais et nous sommes toujours proches. Mais il était devenu évident pour moi que je n’étais pas dans une position optimale pour faire absolument la meilleure musique possible. Et l’art n’est pas une plaisanterie, j’ai tellement de chance d’être là que si je ne faisais pas le meilleur travail possible je manquerais de respect aux circonstances qui m’ont permis de me retrouver dans cette situation. Donc j’ai commencé à me demander comment faire pour que mon travail reste vrai et fidèle à moi-même. Cela implique beaucoup de réflexion sur ma façon de vivre, de penser, de travailler et de faire du business. Dans ce procédé j’ai décidé de revenir aux fondamentaux. Dans une certaine mesure « Away » partait de là. Et une fois que tout cela fut fait, ce qui fut énormément libérateur et une source d’inspiration, j’ai alors été capable de passer à l’étape suivante sous une nouvelle entité artistique. C’est ainsi que je pense à « In The Rainbow Rain ». J’avais embauché un groupe pour jouer sur « Away » et je ne voulais pas en changer puisqu’il n’y avait plus d’étranger, c’était devenu mon groupe. En l’espace de deux mois à jouer, chanter, tourner ensemble et de le faire tous les soirs, nous avons formé ce que je pourrais appeler une « troisième chose «. Après l’ancien et le nouveau Okkervil River, c’était le « nouveau nouveau » ! Ça faisait vraiment du bien, et c’était beaucoup plus électrique principalement parce que c’est plus difficile de jouer des chansons seulement acoustiques en tournée. Donc j’ai commencé à me dire que ce serait formidable d’aller directement en studio juste après la tournée. J’avais loué le studio bien en avance et les sessions ont eu lieu juste après les élections américaines. Et quand celles-ci se sont terminées de la façon que l’on sait, ma sensation de joie et d’avoir un but a été tempérée par un sentiment de responsabilité, ce n’est pas vraiment le bon mot, mais il était impossible de ne pas réagir à ces élections. J’ai donc recommencé à écrire et j’ai composé de nouvelles chansons que nous avons enregistrées presque immédiatement ensuite.

Avant l’enregistrement de l’album il semble que tu aies beaucoup voyagé à travers l’Europe et les Etats-Unis ? L’inspiration et les voyages sont-ils étroitement liés ?

Will Sheff : C’était pour la tournée en fait. Oui, et j’écris toujours sur des endroits qui finissent dans mes chansons, mais je les compose en général dans des moments plus calmes, parce que les voyages sont également assez oppressants, et pour écrire j’ai besoin d’une certaine immobilité. Si l’idée est vraiment incroyable tu l’écriras n’importe où, mais au quotidien c’est mieux d’être au calme pour éviter les distractions. Donc souvent mes écrits inspirés par mes voyages viennent généralement après.

En parlant de voyages, le premier extrait de ton album s’appelle « Don’t Move Back to L.A. », tu parles d’amis à toi ?

Will Sheff : Oui, cette chanson est très simple. J’ai des amis très proches qui ont déménagé à Los Angeles et leur départ m’a poussé à me questionner sur les raisons pour lesquelles je restais à New York. J’ai donc écrit cette chanson en me demandant « pourquoi devez-vous partir ? ». Je ne sais pas, et c’est un peu grincheux. J’espère ne pas avoir l’air misérable avec cette chanson, je la vois plutôt comme une chanson comique dans le bon sens du terme, elle est très légère. C’est bien de toucher aux vrais choses ainsi, c’est un peu mon « Short People » (de Randy Newman, ndlr) ou « Dead Skunk » (de Loudon Wainwright III, ndlr).

Le plus frappant avec cet album, c’est son côté bien plus enjoué, pas nécessairement dans les paroles mais dans la façon dont il est joué, c’est une conséquence de sa composition en groupe ?

Will Sheff : Oui, j’étais heureux et quand tu te sens ainsi ça influe sur le résultat. C’était comme ça, le travail de gens qui se font plaisir et quand j’en ai pris conscience j’ai essayé de créer les conditions propices à cet état d’esprit.

En revanche les paroles ne sont pas nécessairement toujours heureuses. La première chanson que tu as joué en showcase ce soir était « Famous Tracheotomies », est-elle inspirée par ta propre histoire ?

Will Sheff : Oui, le premier couplet résume tout ce que je pourrais dire dans une interview. Il s’agit de l’histoire de mon hospitalisation quand j’ai frôlé la mort alors que je n’étais qu’un enfant, et son effet sur mes parents et mon sens de responsabilité quant à mon existence sur cette planète. Cette chanson parle de ce qui ressort parfois d’un traumatisme. Tu me dis que les paroles ne sont pas toujours réjouissantes et c’est vrai, « Famous Tracheotomies » parlait littéralement d’un traumatisme, mais c’est là qu’un rêve identique arrive, sur un autre traumatisme d’une certaine façon, la reconnaissance que le monde dans lequel tu vis est pourri, cassé, malade. Cette prise de conscience t’écrase alors comme un tas de briques et tu hurles de désespoir en espérant trouver une délivrance. Et je pense qu’à partir de ces deux chansons l’album part en voyage vers un endroit plus léger, où il y a plus d’issues joyeuses.

Il y a effectivement un certain optimisme qui ressort de ces histoires qui ne sont pas forcément drôles au départ, certaines personnes dans le public riaient même pendant que tu chantais « Famous Tracheotomies ».

Will Sheff : C’était marrant de les entendre rire là-dessus, ça m’a un peu énervé au début, puis je me suis souvenu que c’est aussi censé être un peu drôle. Il y a une sorte d’humour noir et maintenant que j’ai eu le temps d’y réfléchir je suis reconnaissant envers la réaction des gens, leurs rires, parce que pendant des années ils ont pensé « Oh ! Okkervil River, leurs chansons vont encore me faire pleurer ! », et pendant des années je leur ai dit « les gars, c’est censé être drôle ! », et j’ai l’impression que je commence enfin à être un peu meilleur pour traduire tout cela.

Juste au milieu de l’album il y a une chanson très accrocheuse, « Pulled Out The Ribbon », qui chante les chœurs avec toi ?

Will Sheff : C’est Sarah K. Pedinotti, notre claviériste, choriste et membre du groupe.

Le clip de cette chanson est assez étonnant, il y a beaucoup d’imagerie : un monde sous la mer, une guitare géante, tout cela reflète-t-il les paroles de la chanson ?

Will Sheff : Jusqu’à un certain point, oui. Mais j’aime bien que ce type de reflet ne se fasse que de façon indirecte. Je travaillais notamment sur la pochette de l’album et je discutais avec la personne qui a fait la peinture. Je lui ai dit « Je ne veux pas qu’on voie la pluie », tu ne veux pas montrer ça quand c’est dans le titre. Elle est évoquée par les paroles mais pas sans en être un reflet direct. Et je pense que cette chanson est ainsi gorgée d’une certaine énergie, elle parle de changements qui peuvent être générateurs, mais aussi de détériorations, de destruction. Le clip évoque tout ça.

Et pourquoi as-tu appelé l’album « In The Rainbow Rain » ?

Will Sheff : J’ai le sentiment que tous les titres d’albums devraient être une sorte de Koan Zen. Ce n’est pas leur signification qui compte, mais ce qu’ils évoquent. Je voulais que les gens ressentent le son des mots « In-The-Rainbow-Rain », leur rythme, leur signification, leurs lettres, et la façon dont ils sont juxtaposés.

Pour moi ce titre suggère aussi le retour du soleil, et donc un certain optimisme.

Will Sheff : Oui, j’ai demandé leur avis à plusieurs personnes et certaines m’ont dit qu’elles pensaient à l’explosion de couleurs que représente un arc en ciel. J’aime la composition des mots. C’est marrant, si on te dit pas exemple « Ne pense pas à un cheval bleu » tu y penses tout de suite. C’est très puissant de ce point de vue, et c’est le cas du mot « Rainbow » (arc en ciel). « Rain » (pluie) aussi, et même les mots de liaison « in the » sont puissants, parce qu’ils sont très simples, des ustensiles comme un couteau et une fourchette, il n’y a pas de poésie derrière, tu n’y penses même pas.

L’album a été mixé par Shawn Everett, je crois que c’était la première fois que tu travaillais avec lui ?

Will Sheff : Il est vraiment fascinant, nous avons beaucoup de choses en commun. Nous venons tous les deux de villages dont personne n’a jamais entendu parler et nous sommes aussi tous les deux des bourreaux de travail. Et nous sommes peut-être plus inquiets d’être de bonnes personnes que de faire du bon travail. Mais il est très audacieux et je lui ai dit « peut-être devrais-tu enregistrer certaines choses sur bande, une piste de guitare, tel ou tel instrument et mixer l’ensemble. »  Il a effectivement enregistré chaque chose l’une après l’autre, puis en a gardé certaines normales, puis coupé d’autres, jouées au ralenti ou l’inverse. Il a fait cette concoction folle avec ma musique et début je lui ai dit « qu’est-ce que tu fais avec mon travail ? Ce n’est pas ce que je t’ai demandé ! ». Mais le résultat était indiscutable.

Aujourd’hui tu es beaucoup plus impliqué dans la production qu’à tes débuts.

Will Sheff : Oui c’est vrai. En fait quand j’ai commencé j’enregistrais toujours sur un quatre pistes, j’ai fait tout un tas d’albums sur cassette quand j’étais au lycée. Mais je n’ai jamais été un technicien. Enfin, oui et non. Aujourd’hui je suis très technique mais pas un producteur. Il me manque la moitié de l’équation pour devenir un grand ingénieur. Mais quand j’ai travaillé avec Brian Beattie de « Don’t Fall In Love With Everyone You See » jusqu’à « Black Sheep Boy » et « The Stage Names » nous étions co-producteurs. J’apprenais beaucoup et j’ai ensuite produit « I Am Very Far ». Je l’étais aussi sur « The Silver Gymnasium » mais John Agnello était dans la chaise du producteur et même pour l’album précédent on m’avait beaucoup aidé. J’essaie d’avoir la main un peu sur tout et je crois que tous ceux avec qui j’ai collaboré te diront que je suis l’une des personnes les plus autoritaires avec qui travailler ! Mais je n’essaie pas pour autant d’enlever du crédit à Shawn Everett parce que sans lui je n’aurais pas pu faire tout ça. Il est brillant et je ne le suis pas, je sais juste obtenir le résultat que je veux.

OKKERVIL RIVER - Interview - Paris, vendredi 30 mars 2018

Avec une carrière d’une vingtaine d’années, ça te fait quoi de jouer aujourd’hui encore beaucoup de vieilles chansons que tu as faites avec d’autres personnes alors que tu joues avec tes nouvelles compositions ? Es-tu heureux d’avoir un répertoire si large ?

Will Sheff : Il y a certaines chansons que je n’aime plus tellement, mais ce n’est pas lié au groupe ou à d’autres personnes, elles me donnent juste l’impression que j’étais à bout de souffle. Mais la plupart sont comme de vieilles amies. C’est comme quand tu regardes une vieille photo de toi, tu la sors et tout le monde s’exclame « J’adore cette photo ! » et tu réponds « Mec, c’est juste une vieille photo de moi, cette personne ce n’est même plus moi et je l’ai déjà vue un million de fois ! ». Mais alors elle retrouve de la force, tu la ressens à nouveau. Quand je suis en train de jouer un vieux morceau, je ressens parfois quelque chose entre le début et la fin, mais probablement pas autant que le public pour être honnête. Peut-être que si parfois, mais j’ai une relation différente avec elles. C’est inévitable, mais parfois tu te surprends en te disant que la mélodie est cool, la progression intéressante et que le sujet est fort, je me fais parfois des louanges !

Rien qu’en te posant la question je te revois en train de jouer « The President’s Dead » au début de tes concerts.

Will Sheff : Oh oui, c’est une chanson que je ressens toujours mais qui va et vient parce que lorsque Obama était président je ne ressentais plus le besoin de la chanter. Mais maintenant les gens me la demandent beaucoup ! Cette chanson n’est pas anti-président, mais il y a quelque chose de très puissant dans le fait de dire « le président est mort ».

Aujourd’hui, avec cette « troisième » version d’Okkervil River, te sens-tu confiant quant au futur du groupe ?

Will Sheff : Je me sens si bien, tellement heureux de faire de la musique. D’autre personnes m’ont interrogé au sujet de l’avenir et je me rends compte que je ne suis pas forcément qualifié pour répondre à cette question. Je pourrais finir cette interview avec toi, sortir et me faire écraser par une voiture ! Je ne le souhaite pas ! Mais c’est bien d’y penser parce que tu dois être conscient qu’il n’y a pas nécessairement un futur. C’est important de s’en souvenir parce que ça me permet d’apprécier le moment présent. Je peux te dire que j’ai hâte d’être en tournée et aussi d’enregistrer à nouveau, j’aime la création artistique, j’ai tellement de chance de pouvoir faire ça. Je suis donc très excité et reconnaissant. Confiant ? C’est un mot avec lequel je ne me sens pas confortable parce que je ne connais pas l’avenir et j’aimerais rester humble de ce point de vue.

Propos recueillis à Paris le vendredi 30 mars 2018.

Un grand merci à Will Sheff, à Camille Edel pour avoir rendue cette interview possible, à Fargo Records pour leur accueil, ainsi qu’à toute l’équipe de Pias France. Crédits photos : Shervin Lainez

Pour plus d’infos :

Chroniques :

‘Away’ (2016)
‘The Silver Gymnasium’ (2013)
‘I Am Very Far’ (2011)
‘The Stand Ins’ (2008)
‘The Stage Names’ (2007)
‘Black Sheep Boy’ (2005)

Lire l’interview d’Okkervil River, le mercredi 30 mars 2011

Voir la galerie photo du concert à la Maroquinerie, paris, le lundi 23 mai 2011
La Maroquinerie, Paris, vendredi 8 février 2008 : compte-rendu / galerie photos

http://www.okkervilriver.com
http://www.facebook.com/okkervilriver
http://twitter.com/okkervilriver

Laisser un commentaire

Top