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Rosie Frater-Taylor : « Je suis très attachée à l’idée de femmes fortes »

Avec son troisième album intitulé « Featherweight », Rosie Frater-Taylor repousse la frontière entre les genres et dévoile un style Indie Jazz qui ne ressemble qu’à elle. A l’occasion de sa tournée française, la compositrice britannique évoque son parcours, les défis auxquels elle est confrontée en tant que femme guitariste et musicienne, et l’importance de briser les barrières pour créer une scène musicale plus inclusive et diversifiée, en soulignant l’importance des liens en directs avec son public dans un monde de plus en plus virtuel.

Rosie Frater-Taylor © Michal Augustini
Rosie Frater-Taylor © Michal Augustini

En guise d’introduction, peux-tu me parler un peu de toi, quand as-tu commencé à faire de la musique ?

Rosie Frater-Taylor : Je suis londonienne de naissance et j’ai toujours vécu dans la même maison. J’habite toujours chez mes parents parce que c’est simplement trop cher de vivre ailleurs ! Mais je viens d’une famille de musiciens. Mon père est batteur de jazz, ma mère chanteuse, et je suis fille unique. J’ai donc reçu une éducation très enrichissante sur le plan musical, il y avait beaucoup de musique très intéressante autour de moi à la maison, dès mon plus jeune âge. J’y ai été exposée. Et je pense qu’il était inévitable que je prenne un instrument à un moment ou à un autre. À l’âge de huit ans, j’ai appris à jouer de la batterie. Mon père a commencé de me l’enseigner et c’est ainsi que j’ai débuté la musique. J’essayais juste d’être la meilleure batteuse de tous les temps ! Je suis devenue très obsessionnelle, je me disputais beaucoup avec lui quand il essayait de me l’enseigner. Et puis ma mère avait quelques guitares qui traînaient dans la maison. Et encore une fois, inévitablement, j’en ai pris une un jour et j’ai appris quelques accords, puis j’ai commencé à prendre des leçons de guitare et à rejoindre des groupes locaux d’enfants qui jouaient du rock. Quand on est enfant et que l’on se sent bon dans une discipline on s’y accroche, et je pense que j’étais naturellement douée pour ça. J’ai commencé à écrire très jeune, j’avais un petit groupe à l’âge de 10 ou 11 ans. Nous avions un groupe de rock dont j’écrivais toutes les chansons. Et je reste fidèle à ces compositions aujourd’hui encore, je les trouve super ! C’est une sorte de processus naturel. J’ai commencé à m’intéresser au jazz quand j’avais 13 ou 14 ans. À Londres, il y a beaucoup d’organisations d’enseignement de jazz pour les jeunes qui sont vraiment sympas. Il y a par exemple le National Youth Jazz Orchestra, qui est une sorte de big band. J’en étais donc la guitariste. Je partageais ce rôle avec un autre garçon. Il y a aussi des organisations comme Tomorrow’s Warriors, qui est assez célèbre maintenant dans le milieu du jazz en général, c’est une organisation qui favorise ce genre de choses. Je suis ensuite vraiment rentrée dans le jazz à 16 ans. J’ai découvert quelques artistes qui m’ont vraiment inspirée, parce que j’avais écrit des chansons puis j’ai fait du jazz, mais je ne savais pas vraiment comment les combiner. Et puis j’ai écouté Becca Stevens. Je l’ai vue en concert, elle a donné un spectacle incroyable au Globe Theatre de Londres, où je suis allée quand j’avais donc environ 16 ans. Elle alliait toutes les choses que j’aimais en une seule. Elle a donc joué un rôle très important pour moi à l’époque. Elle m’a donné une idée de ce que je pouvais faire en mélangeant le jazz, le folk et la pop, etc. Oui, et c’est là que j’ai commencé. Mon père a téléchargé Cubase sur mon ordinateur, et j’ai commencé à m’amuser. Puis il m’a dit : « Et si nous sortions ça ? ». J’ai donc sorti les démos que j’avais faites. Pour ce qu’elles étaient, à l’époque, j’ai eu quelques retours positifs, en particulier de la part de la presse jazz et d’autres médias au Royaume-Uni. C’était mon tout premier disque, et je l’ai sorti quand j’avais 18 ans, j’étais encore très jeune. Et je pense que « Bloom », mon avant-dernier album, était une sorte de prolongation de cette énergie, une version un peu plus polie de mon premier album, parce que j’avais écrit cette musique pendant le confinement. J’ai surtout travaillé dans ma chambre et fait venir mes amis, parce que j’ai obtenu un diplôme de jazz à la Royal Academy of Music, alors j’ai leur ai demandé à tous de jouer dessus. Mon père y joue aussi de la batterie et nous l’avons mixé ensemble. Et tout d’un coup, j’ai rencontré celui qui est mon ex-manager maintenant. Il est parisien. On s’est rencontré, on a sorti ce disque ensemble et ensuite beaucoup de choses ont décollé. J’ai reçu un très bon soutien pour cet album… Désolée, c’est la version longue !

Rosie Frater-Taylor © Michal Augustini
Rosie Frater-Taylor © Michal Augustini

Cet album est donc plus rock que le précédent et le titre « Give and Take » semble annoncer d’emblée que ce sera quelque chose de différent, était-ce une façon d’annoncer ce changement ?

Rosie Frater-Taylor : Oui. Je voulais faire une déclaration. Je suis très attachée à cette idée de femmes fortes, à la tête de groupes avec un instrument dans les mains. Et pour cet album je pense que je voulais vraiment me transformer en cette figure, d’une certaine manière. Je voulais que ce soit plus délibéré. Et je pense qu’à travers des chansons comme ça, et le côté rock, plus angoissé, j’ai pu communiquer tous ces sentiments d’une manière un peu plus intentionnelle.

Quelles sont tes guitaristes féminines préférées ?

Rosie Frater-Taylor : J’aime tout particulièrement Madison Cunningham. C’est drôle, j’avais un billet pour la voir aujourd’hui à l’O2 de Londres. Elle fait la première partie de John Mayer. Mais j’ai dû y renoncer parce que nous avons une session live ici demain, et nous avons donc dû arriver la veille. Mais oui, c’est une grande source d’inspiration pour moi. Je pense que c’est caractéristique de la musique américaine, qu’il y a beaucoup de femmes très douées en Amérique, comme Anais Mitchell et aussi Willow Smith. Son nouvel album qui n’est pas encore sorti est vraiment cool. Je me suis en quelque sorte liée d’amitié avec celui qui l’a produit, Chris Greatti. Oui, c’est une grande influence. Qui d’autre ? Il y a les classiques, je suppose que j’inclurais Rickie Lee Jones et Joni Mitchell dans cette catégorie… PJ Harvey, Björk, Kate Bush, toutes ces figures plus anciennes. Je me demande où est la nouvelle Kate Bush aujourd’hui. Sans essayer de paraître égoïste, c’est un peu ce à quoi j’aspire, cette image de frontwoman forte. Et je pense que cette chanson m’a permis de le faire d’une certaine manière.

Peut-être que tu ne voulais plus être cataloguée comme une artiste de jazz ?

Rosie Frater-Taylor : Je pense qu’il y a certainement de cela. J’ai toujours pensé que les chansons étaient la clé, qu’elles passaient en premier pour moi. Mais souvent les gens se focalisent sur un élément de ce que je fais, comme mon jeu de guitare, la musicalité plutôt que l’écriture. Et je pense que c’est un peu mon objectif personnel d’améliorer la façon dont les gens me voient. Il s’agissait d’essayer de créer un son qui soit un peu plus accessible et qui ait un attrait un peu plus large.

Et comment se déroule l’enregistrement pour toi ? Tu as produit ton précédent album. Pour celui-ci, tu as travaillé avec plusieurs producteurs ?

Rosie Frater-Taylor : Oui, c’est drôle, mais je ne pense pas avoir trouvé le bon producteur pour cet album (rires) ! En ce sens, je dirais que je l’ai produit parce que j’ai fini par vraiment beaucoup diriger ces gens. Ils ont apporté beaucoup en termes de production et de style, en particulier sur certains des titres plus dépouillés, qui ne correspondent pas à mon style habituel. J’ai travaillé avec des gens vraiment géniaux, notamment Tommaso Colliva. C’est un producteur italien. Il a un petit studio incroyable à Milan. Et aussi deux producteurs basés à Londres dont Louis Moody qui est un ami à moi. Il vient d’Australie et il a apporté cette sorte d’atmosphère plus rock à « Give and Take ». J’avais un peu peur d’y aller, mais il m’a encouragé à le faire. J’ai essayé d’impliquer d’autres personnes dans ce processus. Et honnêtement ce n’était pas facile pour moi. Je crois que j’ai ennuyé beaucoup de gens en route ! Je me suis vraiment lancée avec un esprit ouvert et en essayant de faire de mon mieux pour prendre en compte les idées de ces personnes. Mais ensuite, je ne sais pas pourquoi, pour une raison ou une autre, j’en reviens toujours à ce que je veux. Je n’ai jamais vraiment envie d’écouter qui que ce soit d’autre. C’est un peu un apprentissage pour moi. Je ne sais pas à quoi ressemblera le prochain album. Il pourrait s’agir d’une reprise en main totale de ma part. Ou bien j’essaierai à nouveau d’accueillir des gens, mais oui, je ne sais pas !

Dans quelle mesure ton groupe est-il impliqué dans la composition des chansons ?

Rosie Frater-Taylor : Pas tellement en fait. Le bassiste de l’album s’appelle Rob Malarkey. C’est une sorte de dieu de sessions studio au Royaume-Uni. Il a un disque incroyable avec son groupe qui s’appelle Brotherly. C’est un groupe de Broken beat qui est loin d’avoir obtenu le succès qu’il méritait au Royaume-Uni. Il joue avec Jacob Collier en ce moment. Il a donc un style très complexe, mais qui n’écrase pas la musique. Je pense que cela convenait très bien à mes chansons. Il a donc été très utile pour trouver une ligne de basse et il en a trouvé beaucoup. C’est la même chose pour mon batteur. Il a eu beaucoup d’idées, mais toujours guidé par moi. Comme je suis aussi batteuse je lui demandais toujours de jouer de telle ou telle façon. Oh mon dieu, je suis une control freak. C’est incroyable…

Plus que tout, ce disque m’a donné la possibilité de tourner et de jouer ma musique en live avec mon trio comme je n’avais jamais pu le faire auparavant. Nous avons donc passé une année à faire des concerts vraiment extraordinaires, comme des festivals de jazz à travers l’Europe, des lieux et des scènes vraiment agréables comme le Cully Jazz Festival. C’est un endroit incroyable et c’était une expérience vraiment positive de jouer ma musique à des gens qui l’appréciaient vraiment, j’ai beaucoup grandi en tant qu’interprète, musicienne et guitariste. Donc quand j’ai commencé à faire ce nouvel album, je ressentais cette sorte de vibration de groupe avec plus de force, comme si j’étais vraiment déterminée à capturer cette synergie que nous avions eue en tournant sur le précédent album. Cette sensation a beaucoup à voir avec le groupe avec lequel j’ai joué. J’ai un excellent batteur qui s’appelle Tom Potter. Il est très groovy. C’est assez puissant et je pense que cela a influencé ma façon de jouer. Donc, oui, j’avais écrit les chansons et fait les démos de tous les morceaux pour ce nouvel album. Mais ensuite, nous sommes entrés en studio et tout cela a pris une vie propre. Je dirais que c’est ce qui lui donne ce côté plus lourd et grinçant.

Il y a donc très belle reprise de « No Scrubs » sur le disque, ce qui me fait penser qu’il y a aussi une touche de Soul sur certaines de tes chansons. Il ne s’agit donc effectivement pas seulement de jazz mais de toutes les musiques qui t’entourent ?

Rosie Frater-Taylor : Je pense que les genres sont dangereux. Je me demande pourquoi nous ressentons le besoin de catégoriser la musique. Je ne laisse jamais cela dicter ma façon d’écrire, j’aime juste ce que j’aime, j’ai juste l’impression qu’il y a de la bonne musique et de la mauvaise. Certaines personnes disent qu’il n’y a pas de mauvaise musique, mais je pense qu’il y en a. On peut débattre sur le fait de savoir s’il y a objectivement de la bonne ou de la mauvaise musique, et les gens peuvent dire non, parce que tout est subjectif mais il y a de la mauvaise musique, c’est sûr ! Je veux juste dire que je suis une amoureuse de la musique. Un jour, j’aurai ma propre émission de radio. Je la ferai chaque semaine. Et je montrerai à tout le monde tous ces artistes dont ils n’ont jamais entendu parler. Mais oui, ça ne fait aucun doute. J’aime beaucoup de musiques différentes.

Pourquoi as-tu choisi de reprendre cette chanson en particulier ?

Rosie Frater-Taylor : Je pense que c’est parce que c’est toujours très joyeux, comme si elle annonçait l’heure de la fête. Je connais bien cette chanson-là, et tout le monde la chante en même temps que moi. J’ai l’ai donc toujours aimée pour ça. Et je pense qu’elle communique beaucoup des thèmes de l’album d’une manière assez légère. J’aime aussi essayer d’arranger des chansons que tout le monde connaît de façon inattendue. Je trouve ça très amusant. Et j’ai particulièrement aimé ce que j’ai pu faire avec celle-ci.

Ça aurait pu être « Man-Size » de PJ Harvey ? Peut-être que ça ne correspondait pas aussi bien à l’ambiance de l’album ?

Rosie Frater-Taylor : J’ai repris de cette chanson en effet, j’en ai enregistré une vidéo avec un groupe britannique de funk. Nous l’avons jouée ensemble et elle va bientôt sortir. Et j’ai aussi commencé à la jouer en concert, ce qui est très amusant. J’ai également repris « Running Up That Hill ». Elle devait figurer sur l’album, mais je n’étais pas satisfaite du mixage. C’est une raison tellement nulle de ne pas la mettre ! Je la sortirai donc à un moment ou à un autre.

J’ai vu que tu as répété pour ta venue en France « Ta Douleur » de Camille sur Instagram ? Es-tu familière avec la musique française ?

Rosie Frater-Taylor : Un peu. Je veux dire oui, J’aime Camille. Elle est très créative, incroyable. J’aimerais la voir en concert. Il y a aussi la Québécoise Ariane Roy, elle est probablement l’autre artiste francophone que je connais bien et que j’écoute beaucoup. Je pense qu’elle est vraiment sous-estimée. J’adore sa musique. Mon ancien manager est parisien et il m’a présenté à pas mal de musiciens à Paris. Je ne sais pas si tu connais Swaéli Mbappé. Il est bassiste. Et Matthew Edwards qui est batteur. Donc quand j’ai joué au Duc des Lombards il y a quelques années, c’était mon groupe. Ce sont des musiciens incroyables. Je n’avais jamais joué avec qui que ce soit de tel auparavant. Au point d’avoir envie de leur demander s’ils pouvaient être mon groupe permanent, mais je pense qu’ils sont trop occupés ! Oui, je connais quelques musiciens ici.

Nous parlions des genres. Et aujourd’hui, avec la génération Z, cette frontière a tendance à disparaitre, ils écoutent de tout. Il y a vraiment une autre façon d’écouter la musique et de la découvrir, qu’elle soit très ancienne ou très récente, ça peut être n’importe quoi.

Rosie Frater-Taylor : C’est vraiment intéressant, parce que je n’y ai jamais vraiment pensé. Pour être honnête, j’ai toujours un peu méprisé la jeune génération, à cause du manque de véritable écoute. Mais le présenter ainsi c’est une façon très intéressante de voir les choses.

Je ne pense pas que leur culture des artistes soit aussi approfondie, mais ils connaissent un peu tout.

Rosie Frater-Taylor : Tu connais cette chanteuse qui s’appelle Laufey ? Je pense qu’elle représente tellement la génération Z. Si tu es un musicien de jazz, et que tu écoutes Laufey, c’est horrible ! Donc d’une certaine manière, j’ai l’impression que Laufey est la version Gen Z du jazz. C’est un peu comme si on pouvait dire que la génération Z écoute du jazz parce qu’elle aime ce genre de saveur. C’est bizarre, ils ne vont pas se mettre à écouter John Coltrane par exemple. Et ça c’est du jazz. Ou même Julian Lodge ou Bill Frisell, du jazz encore plus accessible. Donc je ne sais pas, la Gen Z est une génération très déroutante. Pour être honnête, je m’entends mieux avec les personnes plus âgées !

Comment tes études à la Royal Academy of Music ont-elles influencé ton approche de la guitare ?

Rosie Frater-Taylor : Bonne question ! Pour être honnête, je pense que beaucoup de mes professeurs de guitare ne m’aimaient pas parce que je ne faisais rien de ce qu’ils me disaient. Mais en termes d’environnement, j’étais constamment mise dans des situations où je n’étais pas à l’aise, comme le fait de jouer des choses difficiles. Et je pense qu’en tant que musicien, cela te rend assez flexible. Par exemple quand je me dis « je veux faire ceci, ou je veux jouer cela. », c’est comme si je pouvais le faire parce que j’ai reçu cette formation. Ce n’est pas seulement parce que je n’ai pas besoin de m’entraîner trop dur pour être capable de jouer, mais parce que je peux imaginer quelque chose et me dire : « Je peux le faire ». Juste du fait d’avoir été dans un environnement pendant des années où j’ai dû m’adapter et m’intégrer à des situations différentes. En ce qui concerne la musique que je jouais là-bas, ce n’étais vraiment pas ma tasse de thé, donc dans ce sens, je pense que cela m’a montré ce que je ne voulais pas faire ! Mais c’est un excellent terrain d’entraînement pour n’importe quel instrument, je pense que c’est le cas pour le jazz et surtout dans un endroit comme la Royal Academy parce que l’on y joue un jazz intense et difficile. Donc oui, une fois que tu sais jouer ça, tout le reste est facile !

Rosie Frater-Taylor © Michal Augustini
Rosie Frater-Taylor © Michal Augustini

Je crois que tu es aussi très attachée à ta guitare Gibson. Cette marque et ton équipement en général constituent-ils une part importante de ton son, de ta musique ?

Rosie Frater-Taylor : C’est drôle parce que ces derniers temps, j’ai pris beaucoup de plaisir à jouer sur une Telecaster, ce qui est assez difficile pour moi et ma relation avec Gibson. J’aime toujours la Gibson Les Paul, mais j’aimerais juste qu’elle soit plus légère. Elle est trop lourde. C’est trop lourd si tu chantes en même temps, à moins d’être Slash ! Je suis un peu dans une phase de transition bizarre. J’aime la façon dont elle sonne. Je pense que c’est un instrument vraiment fort, il y a un son résonnant qui remplit une pièce quand tu joues sur une Les Paul. Les accords sonnent très bien dessus, c’est pourquoi il y a ce son chaud et épais. Je pense que ça influence définitivement ma façon de jouer, quel que soit l’instrument sur lequel je joue, j’en joue différemment. C’est amusant parce que je joue différemment sur la Telecaster. C’est ce vers quoi je penche en ce moment. Je pense que ça a vraiment un impact sur ma façon de jouer de la guitare. Sur une Telecaster je veux juste gratter, alors que sur une Gibson, je veux faire du fingerpicking.

L’album s’appelle « Featherweight », mais il est plutôt « heavyweight » quand on l’écoute ! Pourquoi as-tu choisi ce titre ?

Rosie Frater-Taylor : Je pense que j’aimais l’idée d’être un personnage contradictoire, comme si on pouvait être les deux à la fois : léger, aérien, et en même temps être lourd, puissant, les pieds sur terre. C’est comme une métaphore de moi, de mon rôle dans le groupe, de ce que je ressens vis à vis de ma musique, en voulant être tout à la fois je suppose. Et sentir que je peux être tout à la fois est une façon de m’affirmer face à ceux qui essaient de me cataloguer. Je ne veux pas être cataloguée. Je pense qu’il est très important que les femmes apprennent à être des cheffes de file, à être fortes et à jouer d’un instrument. Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas plus de femmes avec des instruments dans leurs mains, des femmes vraiment célèbres. C’est drôle, je crois que tu as récemment vu The Last Dinner Party, n’est-ce pas ? Je connais un peu la guitariste, elle est géniale. Elle a aussi étudié le jazz. Et c’est comme si elles étaient des pionnières dans ce domaine. Je parle de femmes qui peuvent jouer de la guitare, et je ne veux pas juste dire avec force, mais des femmes qui peuvent vraiment jouer de leur instrument. Je pense qu’il devrait y en avoir plus. C’est pourquoi j’aime tant Madison Cunningham, parce que je me dis qu’elle sait vraiment jouer. Dans le jazz, il y a une poignée de femmes comme ça, mais il n’y en a vraiment pas beaucoup. Nous sommes en train de rattraper le temps perdu. Je me sens très concernée par cette question. Je vois beaucoup de femmes musiciennes qui me suivent. Elles font partie de mon public et les gens qui écoutent ma musique sont souvent des femmes guitaristes ou musiciennes. Ça me tient à cœur.

Nous avons parlé du titre « Give & Take », mais il y a aussi « Twenties », « Hold The Weight », « Get in Line »… L’album est, en quelque sorte, bourré de tubes ! As-tu senti à un moment donné que tu devais recentrer ta musique sur la mélodie, et pas seulement sur la virtuosité ou la technique?

Rosie Frater-Taylor : Je dirais que je n’y pense pas vraiment en fait. J’étais consciente d’essayer de rendre le projet plus attrayant, mais je trouve que c’est une voie dangereuse pour un artiste, car il ne faut jamais essayer de s’adapter au résultat final ou au public. Et je pense que je l’ai peut-être trop fait avec cet album. En fait, la prochaine fois, je ne vais même pas y penser, parce que dans mon esprit je fais souvent comme ça. Je me dis que je vais faire un morceau pop ou indie ou autre chose et en fait ce n’est pas le cas. Je crois que les origines d’un auteur peuvent parfois être en contradiction avec ses objectifs.

Est-il également important pour toi de considérer cet album comme un tout, et non comme une collection de singles ?

Rosie Frater-Taylor : Totalement, je ne fais pas de singles. Je n’aime pas les singles. Je luttais en sortant les premières chansons hors du contexte de l’album, parce que je pense que pris dans son ensemble, il a du sens, mais pas en tant que singles. Donc oui, je suis très attachée à l’album, à la préservation de cette forme d’art. Il faut juste prendre le temps, tu sais, 40 minutes de ta vie pour l’écouter, pour écouter n’importe quel album. Pourquoi se précipiter ? Qu’est-ce qui presse ? Comme quand tu fais juste défiler des stories sur ton téléphone. J’ai l’impression que j’essaie de garder cette chose un peu vivante. (…) Je n’arrive pas à me faire à TikTok. Je ne peux pas. Je suis du genre à prendre une minute de ma vie pour regarder une vidéo plutôt que 15 secondes ! Oui, je lutte avec ça parce que ce n’est pas comme ça que je veux faire. Je comprends pourquoi c’est ainsi. Mais avec tous les réseaux sociaux, j’ai l’impression la qualité d’une vidéo n’a plus vraiment d’importance, notamment quand tu mets sur le même plan la vidéo de quelqu’un qui se filme dans sa chambre, sur son téléphone, qui a fait 10 vidéos en une heure, que celle de quelqu’un qui y investit son temps et son argent. Je n’arrive vraiment pas à comprendre qu’il s’agit d’un moyen de promouvoir la musique. Au grand dam de mon label ! Même les artistes que j’aime communiquent très bien les réseaux sociaux. J’ai essayé et j’ai eu un certain succès dans le passé avec les réseaux, en particulier pour le dernier album dans la communauté des guitaristes. Mais maintenant je me dis que ce n’est pas comme ça que je veux développer mon audience. Je trouve que les gens passent à côté d’un truc avec ce type d’interactions. Je pense qu’on va faire marche arrière parce qu’ils vont se lasser des réseaux dans les deux prochaines années, ils vont les abandonner. Et je pense qu’ils veulent retrouver cette connexion humaine. Ceux qui ont construit leur public en faisant des concerts seront ceux qui finiront par avoir un public. Oui, c’est ça ! Quoi qu’il en soit, c’est moi qui suis en train de pester ! Désolée, je ne sais pas pourquoi je parle autant !

Le fait d’avoir des parents musiciens constitue-t-il une pression supplémentaire pour toi, en particulier en ce qui concerne la qualité de ton jeu et de ton écriture ? Ou sont-ils fiers quoi qu’il arrive ?

Rosie Frater-Taylor : Je pense qu’il n’y a pas de pression. Ils sont juste incroyables, ils me soutiennent à un autre niveau, d’une façon que l’on n’attendrait jamais de ses parents, parce qu’ils comprennent totalement pourquoi je fais ça et qu’ils sont aussi fans. Ils aiment la musique et ils sont impliqués dans la création musicale et dans beaucoup d’aspects de ma carrière. Il n’y a donc aucune pression. Quelle est l’autre moitié de la question ?

Sont-ils critiques ?

Rosie Frater-Taylor : Ils le sont. Mais je pense qu’ils sont plus fiers d’autres choses. C’est drôle parce qu’ils se disent que c’est tellement évident que je sois musicienne et que je fasse ça, que ça devait arriver. Ma mère me dit toujours :  » Oh, je suis tellement fière de la façon dont tu te comportes avec le groupe ou avec les autres, les gens avec qui tu travailles… », et je lui réponds :  » Oh, merci «  ! Je pense que nous partageons une sorte d’empathie assez profonde, ma mère et moi, pour les gens et toutes ces choses-là plutôt que la musique. Je pense qu’elle voit ça comme une évidence pour nous. Je ne pense pas que la plupart des gens soient dans cette situation où leurs parents trouvent que tout cela soit si évident.

Qu’aurais-tu voulu faire si tu n’avais pas été musicienne ?

Rosie Frater-Taylor : Je ne sais pas… J’aime les enfants. Je m’entends bien avec eux. Peut-être quelque chose comme professeur ou travailler avec les enfants d’une manière ou d’une autre. J’enseigne un peu, et c’est avec eux que j’ai les meilleures conversations. Et je me dis qu’il est plus facile de parler aux enfants qu’aux gens de l’industrie musicale. Je préfère de loin les enfants de huit ans aux gens de l’industrie ! Facile !

Peut-on s’attendre à ce que Rosie Frater-Taylor passe au Metal sur le prochain album ?

Rosie Frater-Taylor : « Going Metal » ou « going mental » ? Probablement les deux à un moment ou un autre ! Je ne sais pas. J’ai quelques idées, mais rien de vraiment concret. Ça reste très ouvert, je ne sais pas trop où ça va aller, mais ce qui est important pour moi, c’est, comme je l’ai dit, de maintenir cette image de femme forte et leader. Tout ce que je fais sera basé là-dessus, essayer d’être sur le devant de la scène autant que possible. J’adore la musique de Willow Smith qui est bien plus rock, donc ça pourrait être le cas, mais je suis aussi intéressée par l’idée de faire quelque chose de vraiment dépouillé. Je n’ai jamais fait ça avant. Juste une guitare, une voix, et peut-être un groupe avec moi, ou quelque chose comme ça.

Propos recueillis à Paris le mardi 19 mars 2023

Un grand merci à Rosie Frater-Taylor.

Pour plus d’infos :

Lire la chronique de « Featherweight » (2024)

L’Archipel Théâtre – Paris – mercredi 20 mars 2024 : galerie photos

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