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Claire days : « Le moment de l’inspiration c’est fragile »

Le premier album de Claire days, sorti en octobre 2022, était un beau, un grand coup de cœur. Un disque que nous avions patiemment attendu et dont nous avions suivi de loin la réalisation, au travers de photos et autres extraits vidéo sur ses réseaux sociaux. Aujourd’hui Claire days nous offre de bien belles étrennes en nous rapprochant encore un peu plus de son œuvre, à l’occasion d’une interview au Pop-Up du Label à Paris, pour notre premier concert de 2023, quelques jours à peine après avoir fêté le Nouvel An.

Claire days © Anne-Laure Etienne
Photo © Anne-Laure Etienne

Peux-tu tout simplement me dire d’où tu viens, et quand tu as commencé à faire de la musique ?

Claire days : Je viens du sud de la France où j’ai passé vingt ans, et pendant 23/24 ans j’ai fait de la musique de façon très confidentielle, sans vraiment faire de concerts ni trop en parler autour de moi parce que je faisais ça très timidement. C’était lié à une pratique très personnelle, très intime. J’avais du mal à la partager avec les autres parce que j’étais – je suis – timide. C’est en arrivant à Lyon il y a cinq ans que j’ai commencé à faire des concerts, rencontrer des musiciens, enregistrer et donc à faire de la musique publiquement.

Tu as commencé par la guitare ?

Claire days : Oui, j’ai commencé à jouer de la guitare à l’âge de dix ans. J’ai toujours chanté, depuis toute petite j’ai toujours adoré ça. Et vers 9/10 ans j’ai découvert la guitare classique. J’écrivais déjà des chansons depuis mes 6/7 ans et ensuite j’ai commencé à les écrire en jouant de la guitare en même temps. Et depuis je fais toujours comme ça, je joue de la guitare et je chante.

A quel moment as-tu senti que les choses décollaient pour toi, que tu pourrais envisager la musique sous une forme plus professionnelle ?

Claire days : C’est à Lyon que je me suis dit que je pourrais faire des concerts et simplement m’affirmer en tant que musicienne, même si c’était très progressif, il n’y a pas vraiment eu de déclic pour moi, de moment où je me suis dit « Voilà, ça va être ma vie, mon métier ». Il a fallu que ça mûrisse en moi. Ça fait environ quatre ans que je me dis que je veux vraiment faire ça, toujours plus de musique et moins de mes autres activités et boulot !

Avant la sortie de ton album j’ai vu beaucoup de photos, de vidéos de toi en train d’enregistrer à la campagne, à la montagne, dans un très beau paysage, un cocon très intime et protecteur. Est-ce que cela a été difficile de sortir de ce confort pour la sortie nationale de ton album qui t’a finalement amenée à rencontrer beaucoup de monde?

Claire days : Oui, je pensais que ce serait difficile de sortir de cette forme de travail en retrait de toute visibilité, parce que j’aime beaucoup travailler dans mon coin, un peu en catimini, à mon rythme. Et en fait non, ç’a été super. Je crois que j’étais vraiment plus que prête à sortir l’album, ça faisait un an qu’il était terminé, depuis début octobre 2021. Il fallait que ça sorte, donc ç’a été assez naturel et on a eu la chance de faire beaucoup de concerts très rapprochés ensuite pendant deux mois et c’était super, un moyen de vraiment laisser partir la musique et que les gens se l’approprient.

Claire days © Anne-Laure Etienne
Photo © Anne-Laure Etienne

J’imagine que tu as passé beaucoup de temps à composer entre ton dernier EP et l’album, un peu par la force des choses en 2020 et 2021. Est-ce un travail que tu fais seule chez toi ou avec ton groupe de musiciens ?

Claire days : C’est un travail que je fais seule, il faut même qu’il n’y ait personne chez moi. Donc pas de nuisances. Le moment de l’inspiration c’est fragile, ça vient souvent comme ça, à l’improviste, alors il faut réussir à repousser toutes les autres activités, ou à repousser les gens pour pouvoir écrire la chanson que l’on a envie – besoin – d’écrire à ce moment-là. L’écriture c’est très solitaire, c’est moi avec moi-même, et même comme ça parfois c’est dur ! Dans un premier temps je fais la composition et l’écriture seule et ensuite je joue les morceaux avec les musiciens, je leur envoie des maquettes, on arrange ça ensemble.

Il y a un sens du détail très fort dans tes chansons, leurs chœurs, les arrangements, on te sent assez perfectionniste, c’est de là que viennent le sujet de morceaux tels que « Fall Asleep », de toujours aller plus loin dans ton travail et de ne pas te coucher ?

Claire days : Oui c’est vrai qu’il y a ce côté un peu obstiné, obsessionnel. Je pense que le travail artistique c’est une tâche dans laquelle tu te plonges et on a besoin d’aller jusqu’au bout. Cela requiert vraiment de repousser les limites et parfois on voudrait que la journée ne s’arrête et pouvoir travailler toute la nuit pour aller au bout de ce que l’on veut faire. Oui, le sens du détail… C’est une bénédiction et une malédiction à la fois parce qu’on n’est jamais totalement satisfait.

Fink a joué un rôle important dans l’enregistrement de ton album. Peux-tu me parler de votre rencontre et de votre travail ensemble ?

Claire days : En vérité il s’appelle Fin, donc je vais l’appeler ainsi ! On a co-réalisé l’album ensemble à distance parce qu’il vit a Berlin, moi j’étais à Lyon et c’était en 2020 /2021, des années pendant lesquelles on ne pouvait pas voyager facilement. On s’est rencontré fin 2019. Mon éditeur l’avait contacté en lui disant « Claire adore ce que tu fais, elle prépare un album, si jamais tu veux écouter… » et il  nous avait mis en relation par email. L’idée était surtout qu’il puisse écouter ma musique. Il y a répondu avec enthousiasme et nous nous sommes rencontrés fin 2019 lorsqu’il est venu jouer à Paris au Trianon et voilà ! Il m’avait dit « fais des maquettes, enregistre chez toi, envoie-les-moi et on verra comment on peut travailler ». Le rôle qu’il allait jouer n’était pas encore défini mais c’est devenu assez naturellement de la coréalisation. J’écrivais et composais les morceaux, je les enregistrais soit seule, soit avec mes musiciens et ensuite je lui envoyais les pistes. Il y ajoutait des choses, ou il en enlevait, il donnait une forme auditive aux morceaux. On a fait ça pendant deux ans en fait.

Où s’est fait l’enregistrement avec tes musiciens ?

Claire days : Dans plein d’endroits en fait. A Lyon on est allé soit dans des home studios très bien équipés ou simplement chez nous, avec vraiment pas grand-chose. Et chaque morceau s’est bricolé comme ça à différents endroits, là où chacun d’entre nous habite. Ça s’est fait entre Lyon, Beaujeu, où le batteur Lucien Chatin qui a joué sur la grande majorité des titres de l’album a une maison, mais il y a aussi un studio là-bas qui s’appelle le Chien Bleu. On y a fait trois morceaux, et le reste s’est fait entre nos appartements.

Étant perfectionniste, est-ce difficile de déléguer des choix artistiques sur son travail même si c’est Fink ou des gens qui ont une oreille qui compte pour toi ?

Claire days : Oui c’est difficile. Parfois c’est évident et tout le monde est d’accord, dans ces moments-là c’est super, et d’autres fois il y a des choses qui ne me conviennent pas. C’est un métier où il faut toujours osciller entre ses convictions et ses goûts personnels très forts et le fait d’effectuer un travail collectif.

J’aime beaucoup le titre « Benny », qui est un peu différent du reste de l’album, que peux-tu me dire sur cette chanson ?

Claire days : « Benny » … On a faille l’enlever de l’album ! Justement parce qu’il était différent ! C’est l’un des tous premiers titres enregistrés, sur lequel Fin a commencé à travailler au tout début de notre collaboration. On a enregistré un morceau, puis un autre et encore un autre et à la fin il y en a 10. Tu dézoomes un peu et tu regardes l’ouvrage dans son ensemble et « Benny » qui venait du début avait une couleur différente, et en même temps c’est un titre que j’adore. Il est assez vieux, je l’ai fait à deux époques différentes. En fait il est beaucoup plus simple, plus direct. Parfois on peut se dire « mais non ! On ne peut pas faire de la musique simple, il faut que ce soit plus sophistiqué » mais en fait non, c’est super qu’il soit sur l’album. J’aime aussi beaucoup le chanter justement parce qu’il est simple.

La qualité d’un titre ne repose pas seulement dans sa technique, c’est plein de choses, c’est ce qui passe à travers le morceau.

Claire days : Oui, j’espère et j’y crois. « Benny » c’est ça.

Parles-tu de toi sur « Claire You Don’t Want To Be Saved » ?

Claire days : Non ! La chanson ne parle pas de moi mais d’une amie très proche, c’est comme une lettre que je lui adresse.

Et c’est le seul morceau avec une phrase en français sur tout l’album. Est-ce que tu t’es déjà posé la question d’écrire en français ? J’imagine que tu as des influences musicales surtout anglophones et que c’est plus naturel, mais est-ce que c’est une chose que tu aimerais quand même essayer à un moment donné ?

Claire days : Pour moi la question ne se pose que depuis quelques mois. Jusque-là je ne me la posais pas car effectivement je n’écoute rien, ou quasiment rien en français et j’ai commencé à écrire en anglais à neuf ans. C’est comme ça que je suis à l’aise en fait, mais bizarrement l’année dernière je me suis mise à écrire des choses en français. C’est sorti de nulle part et voilà, je vais voir ce que j’en fais. J’ai l’impression que le français peut-être une parenthèse pour moi mais je reviens toujours à l’anglais.

Claire days © Anne-Laure Etienne
Photo © Anne-Laure Etienne

Tu as sorti ton album en autoproduction, tu n’as pas de label. Est-ce que ça s’est fait comme ça, de fil en aiguille ? Est-ce que c’est un choix ?

Claire days : C’est une forme de continuité par rapport à ce que j’avais sorti précédemment, trois EPs qui étaient aussi en autoproduction. Quand on était à mi-chemin de l’album, avec 6 ou 7 morceaux prêts, on s’est posé la question avec ma manageuse. Allait-on taper à la porte de labels ? Finalement on l’a fait, on en a contacté pas mal, sans obtenir de réponse satisfaisante, et des réponses négatives aussi ! Soit on attendait et on repoussait la sortie pour se calquer sur le calendrier des partenaires, soit on avançait. Pour moi il fallait avancer, je ne voulais pas que la sortie de cette musique qui était prête, ou en train de se terminer, soit déterminée par des facteurs extérieurs qui étaient incertains. Donc on s’est dit qu’on allait continuer en autoproduction. Mais ça ne veut pas dire être toute seule. J’ai une manageuse, on travaille avec une attachée de presse, on a aussi un tourneur. L’idée était que toute cette équipe-là soit réunie autour de moi plutôt que d’avoir un label au-dessus. C’est difficile de répondre à cette question, je ne sais pas à quel point c’est un choix, il faut juste se donner les moyens de trouver de l’argent, de financer le projet. On peut écrire et enregistrer à moindre coût maintenant, on y arrive en se débrouillant bien et en développant ses compétences. Ce sont plus la sortie, la promotion, la diffusion qui sont onéreuses.

Tu avais déjà un public lyonnais, et de nombreux parisiens sont venus te voir aux Trois Baudets en novembre, sans parler des autres salles à Paris ou ailleurs. T’attendais-tu à voir un public aussi nombreux ou as-tu été surprise ?

Claire days : Oui… C’est très difficile de savoir si on est écouté en tant qu’artiste. On s’appuie un peu sur les chiffres que peuvent nous donner soit les réseaux, soit les plateformes, mais en fait parfois ça ne dit rien. Parfois on se rend compte qu’on a un petit public mais très solide, très fidèle, dans une petite ville qu’on ne connaissait pas et c’est incroyable, et parfois tu joues devant personne ! C’est hyper aléatoire et très difficile d’anticiper quoi que ce soit. Je ne m’attendais à rien, je me disais juste « on va faire ces concerts-là, et j’espère qu’on va bien les faire ». Et donc oui, c’est super !

Les musiciens qui t’accompagnent sur scène sont très accomplis. Ils m’ont aussi semblé très complices avec toi, vous vous connaissez depuis longtemps ?

Claire days : Lorsqu’on est trois sur scène, je joue avec Cyril Billot (basse, claviers, chœurs) et Rémy Kaprielan (batterie, chœurs). Ce sont des musiciens de Lyon qui jouent aussi dans d’autres groupes du coin (entre autres, Cyril joue dans Foehn, Rémy dans Da Break). J’ai rencontré Cyril en 2018 quand j’arrivais à Lyon et que je cherchais un contrebassiste pour une prise studio (il est aussi contrebassiste, il a mille cordes à son arc) et Rémy est le petit dernier de l’équipe, il nous a rejoint l’été 2021. On est bien ensemble.

Je vous ai vu reprendre sur scène « This is the Thing », de Fink, un bel hommage ! Y-a-t-il d’autres artistes que tu reprends sur scène, ou avec qui tu aimerais collaborer ?

Claire days : Je reprends souvent une chanson que j’aime beaucoup de Nirvana, « Heart-shaped Box », et parfois « Fast Car » de Tracy Chapman, car c’est une des musiques de mon enfance.
Il y a 1000 artistes avec lesquels je voudrais collaborer mais quand on rentre dans le concret, il y en a certainement peu avec lesquels je pourrais réellement travailler – beaucoup de critères entrent en jeu, les personnalités, les façons de travailler, les calendriers, les tarifs (!)… Pour l’instant, la collaboration avec Fink se prolonge et c’est génial comme ça.

Tu es lauréate du FAIR, tu es présélectionnée aux Inouïs du Printemps de Bourges, tout cela semble être de bon augure pour 2023, quels sont tes projets pour cette année ?

Claire days : Continuer de tourner, écrire de la musique, l’enregistrer, la jouer 🙂

Propos recueillis au Pop-Up du Label, Paris, le jeudi 5 janvier 2023.

Un grand merci à Claire days, ainsi qu’à Cécile Callens pour avoir rendue cette interview possible.

Pour plus d’infos :

Lire la chronique d’Emotional Territory (2022)

Pop-Up du Label – Paris – Jeudi 5 janvier 2023
Les Trois Baudets – Paris – Jeudi 17 novembre 2022

https://claire-days.bandcamp.com/
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