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April March et Staplin : « Nous avons les mêmes goûts et le même état d’esprit »

Pour son nouvel album, April March s’est associée au duo français Staplin. Et malgré la sobriété de son titre, « April March Meets Staplin », ce disque est particulièrement aventureux. Entre expérimentations spatio-temporelles, clins d’œil aux Mods et aux années 60, porté par une verve psychédélique, il brille par sa fraîcheur et son grain de folie. Nous sommes partis à la rencontre d’April March et de Norman Langolff – moitié de Staplin – afin d’en savoir un peu plus sur la genèse de cette collaboration étincelante. La magie des rencontres a encore frappé.

April March © Michael Levine
Photo © Michael Levine

Ta carrière a toujours été marquée par de nombreuses collaborations, et la dernière en date est avec le duo français Staplin. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

April March : C’est Thomas Jamois de Velvetica qui sort ce disque. Il a travaillé dans les années 90 pour Tricatel, sur « Chrominance Decoder » (son album de 1996, ndlr), c’est là que je l’ai rencontré. Je le connais donc depuis longtemps !

Comment s’est déroulé le processus d’écriture pour ce projet ? Comment se passe la réalisation d’un album à quatre, voire à six mains ?

April March : Ça s’est fait de façon très naturelle entre nous trois, parce que nous avons les mêmes goûts et le même état d’esprit lorsqu’ils m’envoyaient une démo. C’est très facile d’écrire des paroles sur la musique de Staplin, parce qu’elle est très cinématographique, c’est du plaisir !

Y a-t-il une chanson en particulier qui a marqué le début de cette collaboration ?

April March : En fait il y avait eu auparavant l’album de Staplin, auquel ils m’avaient invitée à participer sur une chanson. Il s’agissait de « Celluloïd », pour laquelle ils m’avaient envoyé une démo, mais aussi « L’horizon » et « Snow White ». Nous avons enregistré les trois. « Celluloïd » est sorti sur le premier album de Staplin, et comme nous avions trouvé que ça marchait bien avec les deux autres aussi, nous avons décidé de faire un album avec ces deux-là et en écrire d’autres.

Même si ta musique a souvent été décrite comme un hommage à la pop des années 60 et aux yéyés, il y a définitivement plus que cela à l’écoute de l’album. Sur le plan sonore, aviez-vous envie d’apporter des éléments plus modernes à cette collection de chansons ?

April March : Oui, c’est vrai qu’au début de ma carrière je voulais précisément faire des chansons yéyés parce que je voulais apprendre les arrangements de l’époque. Par exemple ceux d’Alain Goraguer qui a fait des disques comme ça, mais après ça j’ai complètement rejeté l’idée de yéyés. Je ne me dis pas « Oh ! Je veux faire un album 60’s ! » Pas du tout. J’ai fait ça avec « Chick Habit » et après c’était fini.

C’est difficile de se défaire des étiquettes ?

April March : Oui mais je crois que c’est naturel en fait, parce que les années 60 ont un son très classique, on en trouve dans toutes sortes de musiques. Et aussi en raison de ma façon de chanter très ‘girls group’, comme j’ai commencé ma carrière en chantant pour Ronnie Spector avec les Ronettes. C’est peut-être le son de ma voix, je ne sais pas !

Quelle est l’importance et l’influence du cinéma dans votre art ?

Norman Langolff : Le cinéma prend une grande place parce que nous sommes tous les deux passionnés par les films, les acteurs, les musiques de films… Un bon film c’est inspirant !

Le groupe Staplin lui-même a été considéré comme un « réinventeur du genre de la bande originale » par la radio FIP. On sent bien ce rapport entre l’image et la musique ?

Norman Langolff : ça, ce sont eux qui le disent, mais oui, ce rapport apporte une certaine liberté. La musique de film ce n’est pas juste couplet-refrain, couplet-refrain-pont. Il y a une thématique avec une émotion, c’est pour ça qu’on est allé dans cette direction, pour se donner le moins de limites possibles. Après peu importe que ce soit réussi ou non, c’est en tout cas une approche plus libre.

Était-ce l’une des raisons pour lesquelles vous vouliez travailler ensemble ?

Norman Langolff : Non, ce n’était pas forcément sur un concept cinématographique. Pour notre album on avait recherché des chanteurs et des chanteuses, le producteur nous a gentiment proposé Elinor (le vrai nom d’April March, ndlr), du coup on lui a envoyé un titre, ça lui a plu, elle a écrit dessus et ça s’est fait naturellement. En fait c’est plus une histoire de rencontres.

April March © Michael Levine
Photo © Michael Levine

En parlant de rencontres, ton père, Norman, a travaillé avec Serge Gainsbourg ?

Norman : Oui, il a travaillé avec lui sur le deuxième album de Vanessa Paradis. Ils ont collaboré et c’était apparemment une belle rencontre.

Ça peut aussi faire des anecdotes à raconter à April March sur Serge Gainsbourg… (À April March) Il a joué un rôle important au début de ta carrière, comment l’avais-tu découvert ?

April March : C’était ma professeure de français, quand j’avais onze ans. Elle était très glamour et excentrique et elle m’a dit « Je vais te faire écouter de la vraie musique française ». Je me souviens, j’étais encore très jeune et elle avait apporté en classe « Je t’aime, moi non plus » et elle l’a fait écouter aux élèves. Ils ont tous rigolé parce qu’ils n’étaient que des enfants. C’est la première fois que j’ai entendu Gainsbourg.

Il y a plusieurs références directes à des scènes de films sur ces nouvelles chansons. C’est le cas du « Rayon Vert », un film d’Éric Rohmer. Quel est le lien entre la chanson et ce film ?

April March : Ce n’est pas le même scénario, c’est juste inspiré des sentiments du personnage de Marie Rivière. Elle est très frustrée. Tu as vu le film ?

Elle recherche l’amour, c’est une fille solitaire ?

April March : Oui, mais elle est également très obsédée par l’idée des vacances, elle est très craintive, elle a peur. J’ai juste pris ce sentiment et je l’ai utilisé pour la chanson, ce n’est donc pas la même histoire, mais c’est la même émotion.

Il y a une référence à Vivien Leigh sur « Parti avec le soleil » ?

April March : C’est inspiré de la scène finale du film Anna Karénine. Vivien Leigh se promène dans la rue, elle observe les gens et elle se demande « Les gens voient-ils ce que je vois ? » parce qu’elle est sur le point de se jeter sous un train et de se tuer. C’est très extrême. C’est une très belle scène parce qu’il y a toutes ces personnes et c’est de là que viennent ces paroles. Ce n’est pas une chanson sur quelqu’un qui se suicide. J’ai plutôt entendu quelque chose de très triste dans cette musique et ça m’a rappelé cette scène. Mais une fois encore ce n’est pas du tout la même histoire. C’est le personnage qui compte ici, comme si je réalisais un autre film à partir de celui-ci.

« Natalie » parle de Natalie Wood. Je sais que tu as écrit un article sur elle. S’agit-il de révélations que nous ne connaissions pas sur elle ?

April March : Elle a été assassinée par son mari, c’est difficile à prouver mais il semble que ce soit assez évident que c’est bien cela qui soit arrivé. (Son mari était Robert Wagner, et les circonstances de sa mort par noyade demeurent obscures, ndlr). Ce qui ne figure pas dans l’article, c’est qu’elle a été violée par Kirk Douglas quand elle avait 15 ans. On ne peut pas imprimer ça, parce qu’on ne peut pas le prouver, mais sa sœur était là quand c’est arrivé. J’ai donc écrit cet article parce que je trouvais ça horrible, la façon dont on ne pouvait rien dire à Hollywood. Il fallait protéger Kirk Douglas, puis il a fallu ensuite protéger son ex-mari. Nous étions donc en train d’enregistrer l’album et Norman m’a envoyé cette chanson plutôt « surf » mais également un peu dramatique. Ça m’a fait penser à l’île Santa Catalina où elle s’est noyée.

La vidéo des « Fleurs invisibles » est un film d’animation réalisé par Oscar Jamois, qui est-il ? C’est vous qui l’avez contacté ?

Norman Langolff : Oscar Jamois, c’est en fait le fils de Thomas Jamois, le producteur de l’album. Il a eu envie de son plein gré de faire un clip sur l’un de nos titres. Au fur et à mesure il nous a envoyé les premiers plans. Il a dessiné, animé, ça lui a pris beaucoup de temps.

April March : Et il est jeune !

Norman Langolff : Il a 19 ou 20 ans je crois. Mais il est en tout cas très doué.

Le clip est sa propre interprétation de la chanson en images ?

Norman Langolff : Exactement.

Steve Hanft a réalisé la vidéo de « Lay Down Snow White » mais c’est aussi quelqu’un avec qui tu as chanté dans le passé ?

April March : Oui, nous avions fait un album ensemble, et je crois que c’est le quatrième clip qu’il a réalisé pour moi. En fait il avait réalisé le premier clip de mon premier groupe, je le connais depuis mon enfance. C’est un excellent réalisateur, il a fait les premières vidéos de Beck, dont celle de « Loser ».

Comme tu chantes à la fois en anglais et en français, comment décides-tu de la langue qui convient le mieux à chaque chanson ?

April March : Je me souviens que sur le titre « L’horizon », Arno Van Colen m’a dit de chanter dans les deux langues. Mais je crois que c’est le premier album sur lequel j’ai fait ça. Sinon ça dépend de la musique et de mon ressenti. Parfois ça sonne anglais, et d’autres fois français.

Tu es originaire de New York, mais la France est un endroit où tu as souvent voyagé et travaillé, avec de nombreux groupes. Aimerais-tu vivre ici ?

April March : Oui, mais c’est difficile avec les visas !

Tu écoutes d’autres groupes français, à part toutes les références du passé ?

April March : J’aime bien Aquaserge, Fishbach, Calypso Valois, Clara Luciani, Julien Barbagallo. J’aime beaucoup Lætitia Sadier aussi, j’ai chanté avec elle sur son premier album qui s’appelle « The Trip ». J’adore Lætitia !

Tout au long de ta carrière tu as travaillé avec beaucoup de monde. Quelle est la collaboration la plus mémorable que tu aies jamais faite ?

April March : Staplin !

Norman Langolff : Je n’y crois pas une seconde !

Y a-t-il un artiste, vivant ou mort, avec lequel tu rêverais de travailler ?

April March : Je voudrais chanter avec Vanessa Redgrave ! C’est un peu ambitieux !… Je ne sais pas, c’est une question difficile !

Quand Elinor Blake est-elle devenue April March ? Quelle était l’idée derrière ce nom ?

April March : C’était parce que dans les années 90 je faisais des dessins animés pour la télévision et le cinéma, et je voulais que mon crédit reste Elinor Blake. Et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à faire de la musique en solo, j’avais un groupe auparavant, et je ne voulais pas garder le même nom pour la musique, j’en voulais un autre.

Envisagez-vous de vous produire sur scène ? Des concerts sont-ils prévus ?

Norman Langolff : On aimerait bien, on est en train d’y songer. Ça se prépare en amont, donc si ça se fait ce sera sans doute pour l’automne si c’est le cas.

Propos recueillis au musée de la Vie Romantique, Paris, le vendredi 19 mai 2023.

Un grand merci à April March, ainsi qu’à Ugo Tanguy pour avoir rendue cette interview possible.

Pour plus d’infos :

Lire la chronique de « April March Meets Staplin »(2023)

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