Vous êtes ici
Accueil > Interviews > LAETITIA SHERIFF – Interview – Paris, mercredi 25 juin 2008

LAETITIA SHERIFF – Interview – Paris, mercredi 25 juin 2008

LAETITIA SHERIFF - Interview - Paris, mercredi 25 juin 2008Il y a quatre ans que nous l’attendions, ce nouvel album de Laetitia Shériff!… Après ‘Codification’, un disque d’une rare intensité, elle s’est fait beaucoup attendre… Elle est aujourd’hui de retour avec ‘Games Over’, et nous dit tout sur son nouvel album, mais aussi son expérience acquise au fil des ans en compagnie Gaël Desbois et Olivier Mellano…

Si nous commencions rapidement par tes débuts, j’ai lu plusieurs fois que tu as démarré ta carrière presque ‘par hasard’, à l’occasion d’un vernissage. C’est vrai ou un peu exagéré ?

En fait j’avais déjà fait quelques concerts, dans les bars, les bistrots… C’est toujours un peu inintéressant de dire que l’on a commencé au lycée comme tout le monde, à reprendre Led Zeppelin ou Deep Purple avec 2 doigts. Donc ce vernissage a été un événement assez important pour moi puisque cette amie m’a demandé de venir chanter et là je me suis dit « il va se passer quelque chose » : 1ère partie d’Herman Dune, à l’époque c’était hyper intimidant pour moi et ça m’a demandé de la préparation. Suite à ça mon amie m’a présenté à une personne qui avait un réseau et qui m’a donné un coup de main en me faisant jouer à gauche, à droite…

Quatre années se sont déjà écoulées depuis la sortie de ton premier album. Peux-tu nous expliquer les raisons d’une si longue attente, il ne s’est rien passé ?

Si ! Il s’est passé plein de choses ! Etant donné que je n’ai aucune contrainte de calendrier… Le premier disque a été une longue et belle aventure et par la suite j’ai fait plein de rencontres et eu des propositions de collaborations sur des projets comme un spectacle de danse contemporaine, un truc que je n’avais jamais fait de ma vie où, avec deux autres musiciens, on créait la musique du spectacle et on partait ensuite en tournée avec toute la compagnie, une quinzaine de personnes. On a passé pas mal de temps en création, puis fait une trentaine de dates dont la dernière était en mai. J’ai aussi fait la musique d’un documentaire d’une amie à moi avec qui je bossais quand j’étais étudiante. Tout ça ne prend pas forcément 10 millions d’années, mais ça repousse l’échéance. Je n’avais pas envie de me retrouver avec moi-même et de me dire ‘maintenant je pense à moi’. J’avais envie d’être avec les autres…

Ça t’a permis de sortir un peu du parcours classique qui pousse à enregistrer très vite un deuxième album… ?

Oui, moi je fais de la musique pour m’amuser, pas pour me donner des contraintes de temps. Justement le temps, quand tu fais de la musique, ça a vraiment une autre portée. En concert tu joues 45 minutes ou une heure et bien souvent tu sors de scène en te disant « c’est pas possible, c’est passé trop vite ! ». Tu perds la notion du temps.

Laetitia Shériff c’est un aussi un groupe, tu joues avec Gaël Desbois et Olivier Mellano ?

Oui, ça fait 7 ans que je connais Olivier. A L’époque je jouais encore toute seule, je n’avais pas de disque et on a beaucoup correspondu, échangé et décidé de faire des disques ensemble. Il m’a présenté Gaël avec qui il bosse depuis plus de 20 ans. C’est vrai que le projet porte mon nom, et c’est assez paradoxal car il y a à la fois un aspect identitaire très important, ça peut vouloir dire plein de choses en même temps. Moi j’ai trouvé deux personnes avec qui j’avais envie de continuer l’aventure après le premier disque. C’est bien d’avoir une base, une confiance et surtout de la complicité avec des personnes. On n’est pas ‘sous contrat’, on a juste envie de faire tout ça ensemble.

Donc, finalement le processus de composition, de création, c’est un travail de groupe ?

Oui, et ce que je leur ai proposé pour ‘Games Over’, c’était vraiment de travailler autour d’une thématique commune. Je suis restée très vague, mais il s’agissait de pouvoir aborder des choses sur le comportement humain, qui nous chiffonnent tous ou qui nous rendent heureux… On a fait ça ensemble en direct sur le travail d’écriture. Par contre sur la composition j’avais vraiment envie qu’il y ait une partie de nous trois, et que l’on n’ait aucune contrainte. Je leur fais suffisamment confiance et je suis aussi tellement en admiration vis-à-vis de leur travail qu’on s’est dit qu’en prenant le temps nécessaire on ne pouvait pas se planter. On s’est dit « on se prend un mois et si on n’arrive à rien on continuera et on en prendra un autre! ». L’album sort maintenant, il a pris du retard mais il aurait pu sortir dans deux ans !

Et la scène, je n’avais pas eu le plaisir de te voir jouer sur ta première tournée, mais on te disait apparemment très timide, tu m’as semblé très à l’aise l’autre jour à la Boule Noire, en tout cas pour ce qui est du contact avec le public. Tu penses que les concerts, l’expérience t’ont aidé ?

Ce ne sont pas que les concerts… J’ai trente ans, j’ai aussi réussi à dépasser certaines barrières que je m’étais imposées. On évolue tout le temps. J’ai vraiment le sentiment d’avoir un peu moins peur. On a tous en nous une part de fragilité qu’on essaie de surpasser. Sinon on peut rater des moments importants dans sa vie et moi je n’ai justement pas envie d’en rater. Combien de fois je me suis mordue les doigts en me disant « t’es bête, t’aurais dû y aller, c’est trop tard ». Maintenant j’ai plus tendance à être attentive, à écouter et à intervenir, je me soigne !

Tu as également changé de label (de Corida à Fargo), y-a-t-il une raison particulière ?

C’est plutôt le destin parce que mon premier label, c’était le tourneur avec qui je travaille. Jacques Renault qui était à la tête de Corida avait créé les disques Wah Wah afin d’être éventuellement un jour complètement autonomes et de gérer nous-même le label. C’était il y a cinq ans, mais Jacques est mort ensuite, et c’était le seul qui aurait su comment vraiment le faire fonctionner. Donc avec Corida on a réfléchi avec qui on pourrait travailler et Fargo a répondu présent. Je ne voulais pas secouer la manche des labels et leur dire « prenez-moi ! » – d’ailleurs ce n’est pas moi qui démarchais – mais j’attendais vraiment cette spontanéité, un accord commun, et, une fois encore, une rencontre.

LAETITIA SHERIFF - Interview - Paris, mercredi 25 juin 2008C’est d’autant mieux qu’artistiquement parlant, Fargo a une belle image…

Oui, et c’est admirable étant donné qu’ils ne sont pas plus de quatre, lorsqu’un stagiaire est là. Ce sont des bêtes de travail et ils font marcher leur petite boutique avec beaucoup d’énergie, mais aussi d’honnêteté, dans leurs choix artistiques, leur stratégie… il y a quelque chose qui me ressemble là-dedans en fait.

Revenons à ton album… La 1ère chose dont j’ai envie de te parler, ce sont de tes textes. Comme sur ton 1er album, ils sont plutôt sombres – dans l’ensemble – ça part très fort notamment avec ‘The Story Won’t Persist’ ? (I didn’t know my mamma…), d’où vient ton inspiration ?

En fait je ne trouve pas que ce soit si sombre que ça. J’avais envie de quelque chose de sarcastique et de vrai à la fois, qui ne soit pas du second degré tout le temps, avec lequel on puisse jongler et que les gens puissent ensuite l’interpréter de différentes manières. Toi tu y vois le côté sombre et c’est vrai qu’au départ j’avais une idée de couleurs sur ce disque, le noir et le blanc, une chose et son contraire. Olivier, Gaël et moi avons donc essayé de tirer vers le blanc lorsque le texte était trop noir. C’est un peu comme si on disait « le monde va mal, mais faisons la fête! ».

On le retrouve dans des titres comme Hullabaloo (My TV Ratings), c’est une critique de la désinformation par les médias ?

Exactement. C’est une sorte de zapping sur les relations humaines. Comment il peut y avoir un tel gouffre entre l’image et la vraie rencontre avec les gens.

L’utilisation de l’image hors de son contexte ?

Oui, c’est de la manipulation qui sclérose complètement – et moi la première – l’information. Quand on a trop d’infos d’un coup, on éteint la télé ou la radio, mais il y a des images chocs qui font mal et qui restent…

Et d’où vient le choix du titre de ton album, ‘Games Over’ ?

J’avais très envie d’aborder la thématique du jeu et sa symbolique, je suis liée à l’idée de rassemblement qu’il y a autour. Il y a donc ce lexique du jeu dans ‘Games Over’. Le ‘S’ de ‘Games’ est un clin d’œil à tout les morceaux, une ‘coquetterie’. Ca reprend encore l’idée de se tromper, mais aussi de gagner, de dépasser des choses… Mais aussi de ne ni gagner ni perdre, parce qu’on est envahi par la réalité, le destin, le formatage, et on ne sait plus quel choix faire. Mais je me dis qu’il doit y avoir une manière bien plus simple que ça d’aborder la vie. Je pense qu’on pourrait faire beaucoup plus de choses, qu’on aurait beaucoup moins peur si l’on n’était pas plaqué par tout le formatage ambiant. A travers les textes et la musique, j’y ai vu quelque chose de cet ordre-là.

On retrouve également cette thématique dans l’artwork de l’album, c’est un ami à toi qui l’a réalisé ?

Oui, c’est un ami et c’est un musicien aussi, il joue avec Red. Il s’appelle Tonio Marinescu et en fait ça fait deux trois ans qu’on en parle parce que j’avais été tellement heureuse de travailler avec lui sur le premier album. Il m’a dit « tu as des idées ? », et c’était à une période un peu sombre en France, avec cette espèce de ‘passation de pouvoir’ un peu catastrophique… et il s’est passsé plein de choses dans ma vie, j’ai été jurée aux assises il y a trois ans et j’ai suivi deux affaires. Et là j’étais vraiment dans une période de ma vie où au début je me disais « mais qu’est-ce que j’ai fait, c’est pas possible ! », comme s’il y avait quelqu’un planqué en train de télécommander ma vie. J’avais vraiment l’impression d’être dans une fête foraine, sauf que dans une fête foraine, tu vas là où tu as décidé de rentrer. Et puis Tonio a commencé à travailler sur une roue de la fortune, il avait même fait un objet, je lui avais parlé de ça, c’est un peu l’idée…

LAETITIA SHERIFF - Interview - Paris, mercredi 25 juin 2008… Pour moi, les petites fiches de l’album sont un peu comme un jeu de tarot ?

Oui exactement, sauf qu’elles sont personnalisées. On en a beaucoup discuté, j’ai écrit des petits indices pendant qu’on était parti au mixage avec Peter Deimel au Black Box. A la réécoute de chaque morceau que l’on avait terminé, je passais une heure à la fin du mix et je griffonnais pour Tonio, pour la pochette, car je sentais vraiment qu’on arrivait à une imagerie. J’aurais pu lui filer les textes et lui dire ‘débrouille-toi !’, mais je sentais qu’il se dégageais encore autre chose avec les arrangements en studio avec Olivier et Gaël et le travail de production de Peter. Je lui ai donné tout ça et il a rendu vivants des idées, des images en voyant très bien de quoi je voulais parler et nos univers sont assez proches.

Et c’est un bel objet ! C’est un plus à une époque où vendre des disques devient de plus en plus difficile…

Comme on parlait de la mort du disque à l’époque de mon premier album je me suis dit « Allez, je vais faire mon premier et seul disque… Bon, vas-y ! Qu’il soit beau et bien assumé ! ». Et tu vois quatre ans après le disque existe toujours et j’ai toujours cette envie de faire durer le plaisir par l’objet. Je fais de la musique mais j’en écoute beaucoup. J’achète des disques par hasard parce que le packaging est très beau. Je n’ai pas encore le réflexe d’acheter sur internet en fait !

Nous avons presque fini, alors au lieu de t’imposer des comparaisons que l’on a dû te faire assez souvent, je préfère tout simplement te demander ce que tu écoutes, ce que tu aimes, et puis tes influences !

Là je fais de belles découvertes en ce moment, notamment un groupe australien qui s’appelle The Drones, ils on un album qui s’appelle ‘Galamill’, et j’adore cette sensation de m’être pris une claque ! J’écoute aussi beaucoup de rock progressif qui va aller de Soft Machine à King Crimson, en passant par Pink Floyd. Les sons années 80, en commun avec Gaël et Olivier, ça va aller de Suicide à Joy Division. Je me suis rendue compte avec le temps que j’aime les choses assez dures aussi, on m’a fait ma petite éducation à Rennes où il y a une scène rock et noise très vivante et puissante…

Moi je suis d’Angers, j’ai vécu ça…

Oh ! Oui, des choses comme Les Thugs et tout ça ! J’ai ragé de ne pas avoir vécu cette époque là… des groupes comme Fugazi, j’ai découvert ça par Olivier et Gaël et je me suis dit « C’est dingue ! » la puissance et les émotions qu’ils font passer sur des choses comme le documentaire ‘The Argument’. Après j’écoute aussi des choses beaucoup plus posées comme Philipp Glass ou un projet qui s’appelle ‘The Portrait Of David’. Et j’ai la chance de pouvoir côtoyer plein de musiciens et des projets peut-être moins connus, des parisiens de BED à Moller-Plesset, un groupe de Noise, Robert Le Magnifique… Plein de gens que tu rencontres, dans des styles divers et variés, et ça, ça peut être une influence pour moi. Sinon j’adore Leonard Cohen, Robert Wyatt, mais ça peut être aussi les B52’s qui me donnent la patate… je m’arrête la ?!

Finalement l’artiste à laquelle tu me fais penser, c’est surtout Shannon Wright sur des titres comme ‘Black Dog’, le chant, le piano…

Ah peut-être, oui. On a fait une tournée ensemble. C’est clair que ç’a été une rencontre comme on en fait rarement. On ne se voit que rarement mais on s’est écrit, des liens se sont créés. J’ai eu droit à des compliments de sa part qui sont les plus beaux que l’on a pu me faire. Elle m’a dit que ma rencontre avec Olivier et Gaël m’avait fait grandir. Elle a toutefois une façon d’aborder la musique qui est beaucoup plus radicale que la mienne je pense, mais moi aussi j’aime vivre les choses sans contraintes et pouvoir aller me m’aventurer dans des contrées au niveau des arrangements et de la composition sans me dire « Je vais m’arrêter là parce que je suis un peu limite ». Y’a pas de limites !

Propos recueillis le mercredi 25 juin 2008 à la Flèche D’Or, Paris.

Un grand merci à Laetitia, Adrien Marchand ainsi que toute l’équipe de Fargo.

Pour plus d’infos:

Interview – Paris, mercredi 15 octobre 2014

Chroniques :

Pandemonium, Solace & Stars (2014)
Games Over (2008)
Codification (2004)

http://www.laetitia-sheriff.com/
http://www.facebook.com/laetitiasheriff
http://twitter.com/LaetitiaSheriff

Laisser un commentaire

Top