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HINDS : « Nous n’avons pas peur de dire ce que nous pensons »

Il y a deux ans Hinds était un peu le groupe à écouter parce qu’il était cool et qu’il faisait le buzz, une aubaine pour ces quatre madrilènes dont le premier album qui sortait à peine fut un véritable tremplin et bénéficia d’un beau succès international. Mais ce n’était pas qu’une mode, le temps a joué en leur faveur : loin de se reposer sur leurs lauriers, elles nous démontrent aujourd’hui qu’elles n’étaient pas là par hasard et reviennent meilleures musiciennes mais toujours aussi fun et décalées  avec « I Don’t Run », un disque qui risque de les condamner à rester cool et faire le buzz encore un bon moment !

HINDS - Interview - Paris, lundi 23 avril 2018

Tout est arrivé très vite pour Hinds lorsque votre premier album est sorti. Pensez-vous que vous n’étiez pas encore préparées à ce qui allait vous arriver ?

Amber : Je pense que nous n’étions pas prêtes. C’était rapide mais peut-être pas trop, parce que nous avions beaucoup travaillé. Nous avons traversé toutes les étapes, donc dans nos esprits tout cela avait du sens. Je n’aurais pas pu imaginer les choses se passer autrement.

Pensez-vous avoir beaucoup évolué depuis ?

Amber : Nous sommes certainement de meilleures musiciennes, nous avons beaucoup appris. Nous avons rencontré plein de gens formidables. Mais si tu viens voir notre concert ce soir, je crois que tu pourras t’en rendre compte par toi-même !

Vous êtes donc de retour avec un nouvel album intitulé « I Don’t Run », pouvez-vous m’expliquer le choix de ce titre ?

Anna : Quand Hinds est né nous étions tout le temps dans le rush, à courir entre les tournées, beaucoup d’opportunités se sont présentées très rapidement au tout début du groupe et nous les avons toutes acceptées, ce qui signifiait partir en tournée et écrire notre premier album en même temps. Nous étions tout le temps pressées donc nous nous sommes dit qu’avec le second album nous pourrions nous arrêter un peu et nous poser pour un mois et demi afin nous concentrer sur l’album, l’écrire, l’enregistrer, etc. C’est pour ça qu’il s’appelle « I Don’t Run ». C’est aussi une réaction à certaines phrases du Rock ‘n’ Roll et du Punk comme « Live fast, die young », « think about today, never tomorrow ! » avec lesquelles nous ne sommes pas tellement d’accord, nous ne vivons pas notre Rock ‘n’ Roll de cette façon. Nous n’avons pas besoin de nous presser, nous pouvons penser à demain tout en étant déchaînées ce soir !

Vous pensez mieux contrôler ce que vous faîtes aujourd’hui ?

Anna : Honnêtement, nous avons toujours eu le contrôle. Je pense que dans notre équipe tout le monde sait que si tu changes quelque chose chez Hinds certaines choses ne fonctionneraient plus, comme la façon dont nous avons décidé ensemble, dans une chambre, à quoi ressembleraient nos T-shirts, la toile de fond que nous installons sur scène, choisir notre tour manager et les groupes qui feraient nos premières parties. Ça nous tient à cœur de nous occuper d’autant de choses que possible. Et c’est aussi un problème parce que plus le groupe grandi plus cela représente de travail. Mais nous pensons que personne d’autre ne devrait le faire à notre place. Nous sommes donc toujours les mêmes !

Pouvez-vous me parler de l’écriture de l’album, je suppose que c’était un peu différent du premier qui rassemblait probablement vos premières compositions ?

Anna : Je pense que la principale différence, c’était que nous avions plus de temps ! Sinon je pense qu’il est très similaire au premier album dans le sens où il représente ce qu’est le groupe au moment présent. Tu peux vraiment voir que le premier est un « baby album », le premier que nous ayons écrit, son côté fait maison, avec toutes les erreurs que nous avons conservées intentionnellement – nous savions ce que nous faisions en les gardant. Sur « I Don’t Run » tu peux voir que nous avons évolué, que nous avons beaucoup plus joué et que nos problèmes ne sont pas les mêmes, probablement plus complexes. Je pense qu’il représente bien ce que nous sommes maintenant.

HINDS - Interview - Paris, lundi 23 avril 2018Il y a toujours un côté très joyeux dans votre musique, mais pensez-vous que celui-ci est un peu plus sérieux dans son approche, bien qu’il soit toujours joué d’une façon enjouée ?

Amber : Il est certainement plus adulte.

Anna : Il est peut-être plus complexe. Sur le premier album il y avait une ligne claire entre les chansons heureuses et tristes. Celui-ci est plus honnête et réel, comme la vie. Il n’y a rien de noir et blanc du genre « Oh ! Je suis vraiment heureuse mais j’ai peur que ça ne dure pas. ». Tous les sentiments exprimés sont plus que bons ou mauvais et je pense que les paroles nous permettent aujourd’hui de mieux les exprimer.

Après avoir écouté le disque et lu les paroles, j’aurais tendance à dire qu’il parle beaucoup de désillusions amoureuses ?

Anna : Oui, c’était le sujet !

Amber : Haha ! C’est notre histoire en ce moment-même !

C’est le thème central ?

Anna : Oui, sur le premier album nous recherchions les 12 visages de l’amour. Ici, ce sont les 11 que nous voyons. Il y a un mot qui résume bien tout ça en espagnol qui ne se traduit pas bien en anglais, mais je crois qu’il existe en français : « désamour ».

Et pensez-vous que les paroles ont pris plus d’importance aujourd’hui qu’à vos débuts ?

Amber : Non, elles ont toujours été importantes.

Anna : Nous y avons toujours fait très attention. Je pense que sur cet album notre discours est plus clair, donc c’est peut-être plus direct pour les fans. Sur le disque précédent nous pensions que plus nous faisions de métaphores, meilleures étaient les paroles, et nous nous sommes rendues compte que ce n’était pas vrai parce que beaucoup de monde n’allait pas comprendre ce que nous voulions dire. Quand tu écris une métaphore sur un lieu précis qui correspond à ton expérience personnelle, personne ne va la comprendre, et lorsque nous jouons sur scène nous pouvons vraiment voir la différence entre les anciennes et les nouvelles chansons. Il est plus difficile de s’identifier aux premières parce qu’elles sont plus complexes alors que sur les nouvelles nous n’avons pas peur de dire ce que nous pensons. Le message est plus clair.

Maintenant les gens pleurent dans le public !

Anna : J’aimerais tellement ! Je n’ai vu personne pleurer jusqu’à maintenant. Enfin, parfois ils sont tellement désolés pour nous que ça y ressemble !

Vous avez coproduit l’album avec Gordon Raphael qui a produit les Strokes dans le passé, comment était-ce de travailler avec lui ?

Anna : Vraiment bien, tout en douceur. C’était la première fois que nous travaillions avec un producteur qui n’était pas un ami proche, et nous avions peur qu’il impose ses idées sur les nôtres ou qu’il n’aime pas notre travail. Ce ne fut pas du tout le cas, il nous a laissé une liberté totale, à chaque fois que nous avions un doute il nous demandait « qu’est-ce que vous voulez ? »

Amber : Il nous a aidées à avoir plus confiance en notre musique, il faisait confiance à nos décisions.

Anna : Il aimait tout ce que nous faisions, il ne nous a rien fait changer.

Et comment vous êtes-vous rencontrés ?

Anna : C’était un fan, il nous a écrit sur Facebook il y a environ quatre ans quand nous avons sorti notre première démo, alors que nous ne recevions qu’un message par mois ! Il nous a dit « Hey ! Je suis fan de votre musique et j’ai vu que vous alliez jouer à Primavera Sound. Je serai là, voulez-vous qu’on se rencontre ? ». Donc nous nous sommes connus très vite, ce fut vraiment facile. Et quand nous avons pensé aux différents producteurs possibles pour ce nouveau disque son nom nous est revenu à l’esprit.

Amber : Et aussi parce que nous somme des « monstres » !

Anna : Oui, on se fout un peu de tout ça, tout ce qui nous importe c’est écrire, jouer et tourner. Notre label nous conseillait certains producteurs, notre management d’autres, c’était étouffant, alors qu’il semblait être la bonne personne avec qui nous pouvions nous sentir connectées. Il aimait « Deers » lorsque nous nous appelions encore comme ça, donc nous nous sommes dit qu’il devait aimer Hinds maintenant. Si tu aimais cette merde à l’époque comme lui, il y a de fortes chances que tu aimes Hinds, ce fut le cas pour lui.

HINDS - Interview - Paris, lundi 23 avril 2018Vous avez aussi fait les premières parties de Albert Hammond Jr. ?

Anna : Les premières parties ? Non ! Nous étions en tête d’affiche partagée ! On alternait.

Et ça fait quoi de partir en tournée avec l’un de vos héros ?

Amber : C’était dingue !

Anna : Nous l’avions rencontré deux ou trois fois auparavant, à un festival à Londres, puis en Californie, puis il est venu à notre concert à New York et c’est là que nous avons passé plus de temps ensemble et vraiment fait connaissance. Il nous a dit qu’il adorait notre musique et qu’il aimerait beaucoup écrire avec nous. Il venait de sortir son album et le nôtre était juste sur le point d’arriver donc c’était le moment idéal pour tourner ensemble. Il allait à SXSW et nous aussi donc c’est arrivé. C’était fou, il était si gentil, il montait parfois sur scène pour chanter sur l’une de nos chansons et nous faisions de même avec lui. Et nous avons reçu un message de son manager qui nous a demandé si nous voulions en faire de même pour sa prochaine tournée européenne !

Je crois que vous avez enregistré l’album dans le même studio que le premier, pouvez-vous me parler de cet endroit ?

Amber : C’est le paradis sur terre !

Anna : Oui, c’est le meilleur endroit, dans une petite ville au sud de l’Espagne, loin du bruit et des gens que nous connaissons. C’est bien grâce aux personnes qui le gèrent aussi, Paco Loco et sa femme. Ils sont si charmants, et si Punk, ils sont vraiment zen ! Le studio et la maison où logent les musiciens sont l’un à côté de l’autre, donc tu as vraiment l’impression d’être pris au piège, mais d’une bonne façon, tu peux te concentrer sur le disque. La nourriture est excellente, c’est ensoleillé, ils ont des chiens…

Aujourd’hui le son de Hinds a une touche plus professionnelle, mais sans perdre pour autant votre identité ?

Anna : Absolument, nous avons tout enregistré live, sans autotune, c’est pourquoi tant de sonorités ne sont pas dans le ton parce nous sonnions intentionnellement faux, « out of tune », parce ça sonnait plus vrai ! Pas de métronome, comme un concert en fait. En général les groupes enregistrent un disque puis travaillent le live, mais nous faisons plutôt ça dans l’autre sens. Il s’est passé tellement de choses entre « Leave Me Alone » et « I Don’t Run » que nous voulions dire aux gens qui nous étions devenues. Nous avons tellement joué que lorsque nous entendons nos vieilles chansons nous nous disons que nous ne sommes plus ce groupe-là.

Amber : Nous essayons en fait de rendre les chansons meilleures sur scène que lorsque nous les enregistrons !

« New For You » a été le premier single dévoilé, que pouvez-vous me dire au sujet de cette chanson ?

Anna : C’est la dernière chanson que nous avons écrite pour l’album. Je pense que c’est un sentiment auquel n’importe qui peut s’identifier. Il s’agit d’essayer d’être une meilleure personne quand tu tombes amoureux, parce que c’est une bonne raison.

A la fin de l’album il y a une chanson très intéressante, « Ma Nuit », avec un titre français, vous chantez en espagnol et en français et l’ensemble sonne comme une improvisation enregistrée à la volée. Comment est-elle née ?

Anna : Elle est justement née comme ça, en improvisant. J’étais avec Carlotta dans sa maison et nous enregistrons toujours sur son téléphone pour pouvoir y réfléchir plus tard. Nous avons commencé celle-ci et il lui a semblé très naturel de commencer à chanter en espagnol, alors je me suis dit que j’allais chanter en français en pensant « on verra bien ce qui se passe ! ». Et nous aimions tellement cette démo enregistrée sur un téléphone que ça n’avait aucun sens d’y ajouter une batterie et des guitares électriques. Ensuite il a été assez difficile d’obtenir le son désiré. Nous avons enregistré dans une pièce avec les fenêtres ouvertes afin que l’on puisse entendre le chant des oiseaux avec un seul micro qui était bien meilleur que celui de mon téléphone, et pourtant ça ne sonnait pas tellement bien. Nous l’avons donc finalement enregistré avec mon téléphone que nous avons ensuite branché à ma petite enceinte JBL que j’emporte avec moi en tournée, et nous avons enregistré avec un micro à travers ce haut-parleur et c’est comme ça que nous avons obtenu ce résultat !

J’aime beaucoup la première chanson de l’album, « The Club », et je trouve qu’elle porte un message féministe, du genre « sois toi-même, tu n’as pas besoin de faire semblant d’être quelqu’un d’autre pour plaire, pour être quelqu’un ».

Anna : C’est ce qu’il y a de bien à travers les paroles, chacun y trouve sa propre histoire, à travers sa sensibilité et son vécu. Nous n’avons pas écrit celle-ci d’un point de vue féministe, mais le sujet c’est bien ça !

Il est malheureusement assez rare de voir des groupes espagnols tels que vous bénéficier d’une carrière internationale. Qu’est-ce qui a fait la différence pour vous à votre avis ?

Anna : La musique. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de musiciens qui sonnent ou écrivent comme nous en Espagne.

Chanter en espagnol, c’est une chose que vous pourriez envisager ?

Anna : Je ne pense pas que nous pourrions changer de langue, parce que nous voulons qu’autant de personnes que possible puissent nous comprendre. Mais c’est toujours fun de faire des choses différentes, c’est d’ailleurs pour ça que nous avons repris une chanson qui s’appelle « Holograma » de nos amis Los Nastys, c’est vraiment cool et c’est curieux parce que ta voix sonne différemment dans une autre langue.

Est-ce difficile pour les groupe Indie Rock espagnols d’avoir une carrière là-bas aujourd’hui ?

Anna : Oui. C’est un marché très lent. Par exemple lorsque nous avons enregistré nos deux premières chansons, nous avons reçu du Royaume-Uni un e-mail du NME le lendemain, puis du webzine DIY, tout va tellement vite là-bas et aux Etats-Unis. Dès que c’est nouveau et que ça buzze les gens sont curieux, ils vont aux concerts sans même en connaître plus parce qu’ils ont lu un article et nous avons beaucoup de demandes d’interviews, etc. En Espagne il faut vraiment faire ses preuves avant d’obtenir la moindre attention, beaucoup tourner, avoir plusieurs albums…

Et le Rock n’est plus aussi à la mode qu’il y a quelques années, vous pensez qu’il y a toujours un futur pour le Rock ‘n’ Roll ?

Anna : Tu sais les modes vont et viennent, c’est un cycle. Aujourd’hui ce n’est pas celle du Rock, mais tant qu’il y a des gens qui en font et qui en écoutent ça ne mourra pas, ça reviendra, nous y travaillons !

Propos recueillis à Paris le lundi 23 avril 2018.

Un grand merci à Hinds, ainsi qu’à Mélissa Phulpin pour avoir rendue cette interview possible. Crédits photos : Neelam Khan Vela

Pour plus d’infos :

Lire la chronique de « I Don’t Run » (2018)
Le Point Ephémère – Paris, lundi 23 avril 2018 : galerie photos

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