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Maple Glider : « Mes chansons sont souvent des appels au changement »

Maple Glider en chair et en os ! Après un premier album sorti en 2021 que nous avions découvert à travers nos écrans, l’Australienne est enfin partie à la conquête de l’Europe en personne, avec une petite tournée en solo pour annoncer la sortie de son deuxième opus, « I Get Into Trouble », sorti le 13 octobre. Un disque qui prolonge l’univers mélancolique de « To Enjoy Is the Only Thing » mais avec une lueur au bout du tunnel. « Il y a comme un voile qui s’est levé » nous confie-t-elle, puisque nous n’avons bien évidemment pas manqué l’occasion de nous entretenir avec elle pour connaître un peu mieux l’artiste qui se cache derrière cette musique à la fois triste, touchante et envoûtante.

Maple Glider © Bridgette Winten
Photo © Bridgette Winten

En guise d’introduction, peux-tu me parler un peu de toi, d’où tu viens et quand tu as commencé à faire de la musique ?

Maple Glider : Oui. Je suis « Maple Glider ». Je m’appelle Tori, je vis à Melbourne.. En fait, c’est un mensonge : J’habite à environ une heure de Melbourne ! Je vis au bord de l’eau depuis huit mois. C’est très plaisant parce que c’est en dehors de la ville, c’est un changement agréable. J’ai commencé à faire de la musique quand j’étais adolescente, j’avais environ 13 ans. J’étais probablement plus jeune lorsque j’ai commencé à écrire des chansons et à me produire. Et je joue en tant que Maple Glider depuis 2019 – 2020.

Tu es australienne, mais si tu n’étais pas venue à Brighton, « To Enjoy Is the Only Thing » n’aurait peut-être jamais vu le jour ?

Maple Glider : C’est tout à fait vrai. Je pense que je n’aurais pas écrit les mêmes chansons, c’est certain… Il faisait très froid (rires) !  Je travaillais dans un café et je me souviens aller au travail et en repartir quand il faisait nuit. Je rentrais à la maison et j’écrivais un album… involontairement ! Donc oui, c’était une période déterminante de ma vie.

C’était un disque très solitaire, il est sorti à une époque où les gens ne pouvaient pas vraiment sortir ou voyager à cause de la pandémie. A-t-il été difficile de sortir un album dans de telles conditions ?

Maple Glider : C’était très surréaliste, surtout parce que je ne l’avais jamais fait auparavant. Donc c’était assez étrange, parce que je rencontrais tous ces gens, je leur parlais, mais tout cela se passait sur Internet. Je prenais des décisions sur ma carrière musicale, alors que nous étions tous coincés dans nos maisons. C’était un peu étrange de penser à ce que cela donnerait de sortir de la musique dans le monde entier alors que j’étais dans une chambre dans une maison en colocation avec cinq autres personnes enfermées avec moi. Et tout d’un coup, j’ai eu ces opportunités pour lesquelles j’avais travaillé et dont je rêvais depuis que j’étais enfant, faire de la musique et de sortir un album. Donc oui, ce fut une expérience extraordinaire. Mais je dois dire que le fait de sortir et de faire des concerts a vraiment rendu les choses réelles pour moi.

As-tu été surprise par l’accueil qui lui a été réservé lors de sa sortie ? Pas seulement en Australie, mais aussi dans le reste du monde ?

Maple Glider : Oui, j’ai été très surprise. Je ne m’attendais pas à ce qui allait se passer. Je m’étais lancée dans l’enregistrement de quelques chansons, en espérant qu’il y en aurait plus, et j’ai fini par enregistrer un album. Et en l’espace de six mois, je travaillais avec une équipe et on prévoyait une sortie mondiale. C’était vraiment, vraiment incroyable. Et aussi très inattendu. Ça ne semblait pas réel. Je me souviens du bonheur de pouvoir parler de cette musique à des gens du monde entier.

Maple Glider © Bridgette Winten
Photo © Bridgette Winten

Ton nouvel album est également très personnel, comment l’as-tu écrit ? S’agit-il d’une simple continuation de ton travail ?

Maple Glider : C’était un peu fait de choses que j’avais déjà écrites auparavant parmi les chansons composées pour le premier album, comme « Dinah » et « Don’t Kiss me ». Il y avait des chansons que j’avais écrites mais que je n’étais pas capable d’écouter ou de confronter à ce moment-là. Alors je les ai mises de côté et je ne pensais même pas les partager un jour, à cause de l’impact émotionnel qu’elles avaient sur moi à ce moment-là. Et puis le reste, c’étaient des morceaux qui sont arrivés pendant et après la sortie du premier album. Mais j’ai vraiment l’impression que tellement de temps s’est écoulé pour faire cet album, parce que même le processus d’enregistrement a pris un an. On a enregistré par intermittence pendant tout ce temps. Tellement de choses se sont passées entre temps.

C’était donc un processus différent du premier ?

Maple Glider : Oui, le premier a été enregistré en deux semaines. C’était donc très différent ! Mais je pense que lorsque pris la décision d’enregistrer le deuxième album, je savais que je voulais partager certaines des chansons que j’avais un peu plus d’appréhension à partager à l’époque du premier album et être un peu plus vulnérable, comme je n’avais pas été capable de l’être sur le premier.

Plusieurs chansons de l’album font plus ou moins directement référence à ton enfance chrétienne, était-ce une période particulièrement compliquée pour toi ? Quel regard portes-tu sur ton éducation ?

Maple Glider : Oui, c’était compliqué. Et pendant de nombreuses années j’ai complètement déconnecté tout ça de mon identité. Je ne voulais pas y penser du tout parce que je voulais être une personne entièrement nouvelle, qui n’avait aucun lien avec la religion. Je ne sais pas si je me souviens de ce passé, mais quand j’ai commencé à composer, tout est ressorti. Et j’ai réalisé que ce processus était vraiment important pour moi personnellement, et dès lors cela m’a donné envie de continuer à écrire et à jouer de la musique. Et le fait de rencontrer des gens qui ont vécu des expériences similaires ou qui peuvent s’identifier au même contenu, qu’ils aient été élevés ou non dans la religion, a également été très intéressant. Et je suppose que comme cet album est très fortement marqué par la religion, il est lié à dans ce contexte au sexe et à la honte, aux agressions sexuelles, des choses plus sévères. Donc c’était vraiment quelque chose de nouveau que j’ai l’impression d’avoir apporté, une nouvelle intention pour cet album et pour cette sortie.

L’album s’intitule « I Get Into Trouble », et sur la pochette on te voit les mains en prière, mais dans une posture plus provocante. Est-ce une manière de régler tes comptes, ou simplement d’affirmer ton émancipation ?

Maple Glider : Oui, c’était un peu la juxtaposition de cette expérience que j’ai eue en tant qu’enfant, et aussi juste ce que j’ai appris sur le sexe à l’époque et ce que j’ai appris après en tant qu’adulte, sur les agressions sexuelles, toutes ces choses, comment elles sont venues encadrer mes expériences. De la fin de mon adolescence au début de ma vingtaine, les prises de conscience que j’ai eues par rapport à ce que j’avais appris et la manière dont cela a affecté la façon dont je me voyais. Et donc la pochette est une sorte d’encapsulation de tout ça. C’est comme je disais « C’est moi maintenant, je suis toutes ces choses et c’est bien ainsi. »

Il y a cependant des passages assez sombres sur cet album, comme la chanson « Dinah » où la religion et la sexualité se mélangent d’une manière qui ne devrait pas l’être. Cependant, l’ambiance sonore de la chanson offre un équilibre, probablement plus porteur d’espoir ?

Maple Glider : Oui, je pense que je n’aurais pas pu écrire cette chanson autrement. Je crois que je me suis surprise moi-même. C’était juste comme un démêlage, je suppose que ça grandit, encore et encore, et j’ai atterri dans un endroit où je n’étais pas très à l’aise à un moment donné. Et depuis que je l’ai sortie et que je la joue en concert, je pense que partager cette chanson est l’une des meilleures décisions que j’ai prises, celle de l’accepter, d’accepter son contenu malgré le fait qu’à bien des égards cela ait été difficile pour moi personnellement.

Considères-tu ta musique comme un exercice cathartique pour toi, mais aussi pour tes auditeurs ?

Maple Glider : Oui, sans aucun doute. Et je pense qu’au début c’était juste pour moi. Maintenant je me suis rendu compte que ce n’est pas seulement pour moi. C’est une façon vraiment spéciale d’entrer en contact avec les gens. Oui, ils peuvent s’identifier. Oui, il y a des histoires partagées.

Cependant, l’album a plusieurs facettes, il peut être vu comme une manière de faire la paix avec le passé, la famille et les proches, notamment sur des titres comme « Top Of The Driveway » et « You’re Gonna Be a Daddy », que peux-tu me dire à propos de ces chansons ?

Maple Glider : J’ai écrit ces chansons quand j’ai appris que j’allais devenir tante. Et mon frère est maintenant papa. Ce n’était pas prévu. Mais nous avons eu une relation assez intéressante dans le sens où nous avons passé beaucoup de temps séparés et nous avons été très déconnectés pendant une grande partie de notre vie d’adulte, et aussi pendant son adolescence, tout simplement parce que nous vivions dans des endroits différents. Et nous avons été élevés par des personnes très différentes vers la fin. Pour moi, c’était donc un grand moment de réflexion sur notre enfance et notre relation, et juste ce grand désir que j’ai toujours eu d’avoir une relation étroite et de faire partie de la vie de l’autre, parce que nous partageons cette expérience. Je lui ai fait découvrir cette chanson avec lui quelques mois avant sa sortie. C’était un très beau moment de complicité parce que je sous-estime parfois le fait que le plus jeune frère ou la plus jeune sœur veuille simplement s’affirmer par rapport à son aîné. Je ne sais pas si c’est vrai pour tout le monde. Et il m’a dit en quelque sorte « s’il te plaît, communique avec moi par des mots ou par la chanson ». Une chose très spéciale est ressortie de cette chanson. Mais ma nièce est aussi la chose la plus mignonne au monde !

C’est l’aspect positif de ce disque ! Sur une note moins positive, il y a le single « Don’t Kiss me », où tu dis :

“Don’t kiss me / My safety should not have to be earned / I was just a baby until you made me into a lesson to be learned.”

Ces paroles me rappellent une chanson de Stella Donnelly intitulée « Boys Will Be Boys » où elle écrit :

« Why was she all alone / Wearing her shirt that low? » / They said, « Boys will be boys » / Deaf to the word « no »

Est-ce aussi une façon d’exprimer ton irritation ou ta frustration face au fait que les attitudes vis-à-vis des agressions sexuelles ou du harcèlement évoluent si lentement ?

Maple Glider : Oui. A 100% oui, c’est tout à fait ça. J’adore cette chanson de Stella Donnelly et à chaque fois c’est bouleversant de l’écouter, et en concert c’est comme si elle voyageait à travers tout ton corps. C’était une grosse explosion de colère que j’ai ressentie à ce moment-là et oui, une libération très personnelle. Mon Dieu, ça fait du bien de dire « recule », « ne l’embrasse pas », c’est juste une bonne chanson qui redonne un sentiment de pouvoir quand je la joue en live, j’aime vraiment ce sentiment. Et j’aime les émotions que les gens expriment en écoutant ce titre. Oui, ça vient d’un endroit intense, mais je pense que la sortie de cette chanson a eu un effet très positif sur moi.

Et puis il y a «  FOMO »… Derrière la tristesse, cette chanson ressemble aussi à un appel au réveil, l’heure de réagir ?

Maple Glider : Oui, c’est tout à fait ça. C’est un peu dérangeant de voir à quel point mes chansons deviennent souvent des appels au changement. C’est comme si je regardais intérieurement tous les signes jusqu’à ce que je les exprime dans une chanson et que je me dise d’accord, je vais enfin m’écouter. Je vais enfin voir ce qui s’est passé et changer les choses. Alors oui, cette chanson a vraiment joué un rôle important dans mon processus de changement.

As-tu peur de l’avenir, de passer à côté de quelque chose ?

Maple Glider : Je pense que sûrement. Oui, j’ai beaucoup de FOMO (fear of missing out, ndlr) en moi. Enfin, ça dépend, si tu me poses la question aujourd’hui, en ce moment même, non pas du tout. Je me sens plutôt bien dans le présent. Mais oui, certainement, il y a eu beaucoup de fois où j’ai vécu cela. A ce stade, je me sens beaucoup plus en paix, il y a un peu moins d’anxiété.

Maple Glider © Bridgette Winten
Photo © Bridgette Winten

Même s’il y a toujours cette touche mélancolique de Maple Glider, penses-tu que ce disque est plus joyeux ou plus porteur d’espoir ?

Maple Glider : Je pense que oui. C’est ce que je ressens, et j’espère qu’il en est de même pour les autres. C’est une façon très ringarde de le dire, mais il y a comme un voile qui s’est levé et je ne suis plus en train d’enterrer des choses et je me sens beaucoup plus légère. Tu te débarrasses de ce voile et tu te sens plus léger.

L’album a été précédé d’une magnifique reprise de Shania Twain, « You’re Still The One », même si elle ne figure pas sur ce disque. Comment a-t-elle vu le jour ?

Maple Glider : C’est une chanson que j’ai un peu jouée en concert et ensuite un enregistrement pour Amazon, donc c’était bon pour nous. C’est comme ça que ça s’est passé. Mais nous avons obtenu un financement. Je n’ai pas vraiment écrit de chansons d’amour romantiques, je n’en ai pas raconté beaucoup. Donc c’était juste une bonne occasion de faire quelque chose d’un peu romantique et amusant, et de prendre une si bonne chanson pop.

Mais cette version ressemble à une chanson à toi. Je connaissais le morceau, mais je ne l’avais jamais particulièrement écouté. Il y avait vraiment quelque chose de différent dans ta version.

Maple Glider :  Merci ! C’était vraiment fun. J’adore la jouer en live, surtout avec le groupe parce qu’ils sont vraiment géniaux. Il y a de superbes chœurs, les deux personnes qui s’en chargent s’accordent vraiment bien l’une avec l’autre. Ça sonne bien. C’est l’une de mes préférées en fait.

Même si tu as composé un album au Royaume-Uni, c’est la première fois que tu fais une tournée non seulement ici en Europe, mais aussi en dehors de l’Australie. Quel effet cela fait-il de pouvoir le chanter au public que tu n’avais connu qu’à travers des écrans jusqu’à maintenant ?

Maple Glider : C’est incroyable, surréaliste, je pense que ça rend tout ça « réel ». Parfois, sur Internet, c’est très flou, on peut s’y perdre un peu. Cela a donc été très stimulant, très motivant. Ça m’a donné une énergie, je me suis dit « C’est ce que j’aime faire et je veux continuer à le faire ».

Propos recueillis à Paris le mercredi 20 septembre 2023

Un grand merci à Maple Glider, ainsi qu’à Elisabeth Lavarenne pour avoir rendue cette interview possible.

Pour plus d’infos :

Chroniques :

I Get Into Trouble (2023)

To Enjoy is the Only Thing (2021)

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