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Ride : « Nous voulons tous que le groupe soit le meilleur possible »

Les membres de Ride ont traversé bien des tempêtes depuis la glorieuse époque des années 90, mais ils savent aujourd’hui bien mieux y résister. Le groupe d’Oxford fait même bien plus que cela : avec trois nouveaux albums depuis 2017, un record de longévité depuis ses retrouvailles et surtout une inspiration renouvelée, « Interplay » complète avec panache le triptyque d’un comeback particulièrement réussi. Nous avons rencontré Andy Bell, le guitariste, compositeur et chanteur de Ride avec Mark Gardener. Du parcours du groupe à sa place dans le monde musical d’aujourd’hui, en passant par la conception de ce nouvel album, son travail en studio et les influences 80s qui viennent s’inviter sur « Interplay »… Les rouages de ce septième opus n’auront bientôt plus aucun secret pour vous !

Ride © Cal McIntyre
Ride © Cal McIntyre

Ride est réuni depuis 10 ans, ce qui est plus que le temps que vous aviez passé ensemble dans les années 90. Qu’est-ce qui différencie votre pérennité d’aujourd’hui de celle des années 90 ?

Andy Bell : C’est une bonne question. Je pense que nous sommes maintenant capables de mieux résister aux tempêtes qu’auparavant. Nous étions globalement les mêmes personnes, nous avons encore des désaccords sur certains points. Mais maintenant nous avons plus de patience et d’expérience de la vie. Nous sommes donc capables de communiquer plus clairement les uns avec les autres. Et nous voulons tous que le groupe soit le meilleur possible. Je ne pense donc pas qu’il y aura d’autre séparation.

Lorsque vous vous êtes reformés, pensiez-vous que le groupe resterait ensemble ?

Andy Bell : Nous avons pris les choses au fur et à mesure. Au tout début, c’était juste pour trois semaines, comme un planning très serré conçu pour travailler autour. Tout le monde était très occupé par d’autres choses. Notre tourneur pensait donc lui aussi que nous n’étions là que pour trois semaines. Et quand les concerts sont arrivés, nous avons réalisé que nous avions plus de temps pour Ride et que nous pouvions faire plus. En fin de compte, nous avons passé la majeure partie de l’année 2015 à donner des concerts. Après ça, la question était de savoir si nous voulions recommencer à composer ensemble, et je pense que nous que nous connaissions déjà la réponse, que ça allait être bien. Donc les étapes se sont enchaînées. Et maintenant, nous arrivons à la fin de notre contrat avec Wichita qui était prévu pour trois albums. Il se termine avec la sortie d’Interplay. Une nouvelle question se pose donc aujourd’hui : qu’est-ce qui va suivre ? Voulons-nous signer un contrat avec un nouveau label ? Ou nous auto-produire comme Mogwai ? Je suppose qu’en France, c’est une question plus abstraite, parce qu’il y a de fortes chances que l’on passe par Pias de toute façon. Mais c’est sans doute ça la prochaine étape pour nous.

Je suppose que vous êtes peut-être moins pressés par le temps qu’avant ?

Andy Bell : En fait non, j’ai, j’ai une horloge interne assez bruyante. C’est ce qui me pousse à continuer à faire les choses tout le temps. Je ne dirais pas que c’est de la pression, mais j’ai vraiment envie de faire avancer les choses. Comme un fan, j’ai toujours envie d’entendre à quoi ressemblera le prochain album. Je veux donc continuer à en faire de nouveaux tout le temps. Mais parfois, je pense qu’il est bon de ralentir et nous l’avons été de l’extérieur cette fois-ci, par le COVID. Évidemment, la pandémie et d’autres choses encore ont ralenti notre travail. Mais finalement, je considère que c’est un bon résultat. L’album « Interplay » émane d’un processus de distillation, peut-être parce que ça a pris plus de temps, le résultat possède une saveur différente parce qu’on y a travaillé plus longtemps.

Les années qui se sont écoulées entre vos deux derniers albums ont également été l’occasion de célébrer vos débuts musicaux et vos classiques. Était-il important pour vous de fêter ces anniversaires ?

Andy Bell : Oui, oui, c’est important pour moi, je veux dire que j’éprouve beaucoup de plaisir à rejouer « Nowhere » et « Going Blank Again » en concert. Personnellement j’ai trouvé ça très fun. C’est un plaisir pour moi de revenir, de réentendre cette musique de cette manière et de voir que les gens veulent l’entendre. C’est juste bon pour moi. Et bien sûr, cela signifie que nous nous nous sommes concentrés sur les concerts plutôt que sur les nouveaux titres, mais nous en jouons toujours de toute façon. Nous jouons les classiques, nous sortons de scène puis nous revenons et jouons six ou sept titres de plus en rappel. Donc depuis presque un an maintenant, nous jouons « Monaco » et aussi « Peace Sign ». Et je crois que nous avons aussi joué « Last Frontier ». Nous avons commencé à jouer beaucoup plus de chansons lors des soundchecks lorsque nous étions aux États-Unis en janvier. Nous essayons donc de nouvelles choses tout le temps.

Ride © Cal McIntyreOui, les concerts qui célèbrent un album sont cool. Par exemple j’ai vu Air la semaine dernière jouer « Moon Safari ».

Andy Bell : Oui, j’ai entendu parler de celui-ci. Je pense simplement qu’il ne faut pas se mettre en travers du chemin des gens qui veulent voir leur groupe jouer. Et s’ils veulent écouter un vieil album, alors il faut le prendre comme un grand compliment. J’ai moi-même assisté à quelques-uns de ces concerts. Ça peut être vraiment sympa pour les fans d’entendre le disque dans sa version originale. Nous sommes heureux de le faire. Ce qui est intéressant quand on voit l’album, c’est que ce n’est pas l’ordre naturel des concerts. Ça commence de manière complètement folle avec « Seagull » et « Kaleidoscope ». C’est comme si c’était de plus en plus rapide. Puis la vitesse retombe pendant trois chansons douces, lentes et longues. Et ça donne le tournis pendant presque  tout le concert parce qu’on se dit qu’on ne programmerait pas une setlist comme ça. On essayait d’emmener les gens dans ce genre de voyage particulier avec l’album. Donc ça te rappelle ça. On peut les faire voyager en suivant l’ordre des pistes. De nos jours, les albums n’ont souvent qu’un single. Mais nous essayons de faire en sorte que les titres s’enchaînent bien.

J’imagine que le fait de se remettre à écrire ensemble après avoir connu des carrières en solo et dans d’autres groupes a changé votre perception et votre façon travailler ensemble. Comment travaillez-vous en tant que groupe aujourd’hui ?

Andy Bell : J’en reviens à la première réponse : en fait c’est une question d’expérience. Tous les membres du groupe ont passé 20 ans à faire d’autres choses. Et moi, je suis resté dans une sorte de ‘situation de groupe’. Et la dynamique de groupe prévaut, quel qu’il soit. Je suppose que j’ai beaucoup appris au fil des ans sur la façon dont tout cela s’imbrique. Notre batteur Loz Colbert a passé du temps avec d’autres formations, mais il est aussi allé à l’université et a obtenu un diplôme de théorie musicale. Il est donc revenu avec un ensemble de compétences complètement différent. Et Steve (Queralt, le bassiste, ndlr) a quitté le monde de la musique pendant un certain temps pour vivre une autre vie, puis il y est revenu. En fait, ce qui a probablement le plus aidé Mark (Gardener, ndlr), ce sont ses compétences en studio. Il a construit un studio et l’utilise maintenant comme un travail à plein temps pour le mastering et le mixage. Nous avons donc utilisé ce lieu pour les premières sessions du nouvel album.

Parlons d’Interplay ! Quand les premières chansons ont-elles été écrites ? Quand l’album a-t-il commencé à prendre forme ?

Andy Bell : Il y a eu une période avant qu’Interplay ne commence à prendre forme où nous faisions de la musique qui a fini par en faire partie. Nous avons traversé une sorte de période d’exploration. Une fois que les confinements du COVID ont commencé à s’assouplir, nous nous sommes réunis dans le studio de Mark. Il avait également pris du temps en dehors du groupe pour faire fonctionner le studio en tant que business. Il avait donc eu besoin de temps, ce qui coïncidait avec le début du COVID. Ride était en courte pause pendant qu’il faisait ça, puis avec l’arrivée du COVID, nous avons dû attendre un peu plus longtemps. Et à la fin de l’année 2021, nous avons recommencer à jouer. Mark voulait que nous commencions à lancer de nouvelles idées ensemble en studio, à partir de rien, ce que nous avons fait pendant un certain temps. Et à chaque fois nous donnions à l’idée lancée un nom de lieu. Par exemple, « Essaouira » vient de cette époque, « Monaco » aussi. « Peace Sign » s’appelait à l’origine « Berlin ». Et il y en a beaucoup plus, mais tu vois l’idée. Comme nous ne pouvions pas voyager physiquement nous devions le faire mentalement, musicalement. Nous nous sommes retrouvés avec un tas d’impros, de jams, et au bout d’un moment nous avions l’impression d’être dans une impasse. Nous avions fait beaucoup de choses mais nous n’avions pas vraiment de chansons à ce stade, plutôt des atmosphères. Alors on s’est dit : « Maintenant, il faut vraiment qu’on travaille ». Alors nous avons commencé à rapporter des chansons sur lesquelles nous avions déjà travaillé individuellement. Je dirais donc que le point de départ où l’on s’est dit : « ça y est, ça ressemble à quelque chose qui va aller vers l’album », c’est quand Loz est venu avec « Last Night I went Somewhere to Dream », parce qu’il y avait cette signature, ce ressenti autour de la batterie et des parties mélodiques, et soudain nous avons commencé à parler de la musique que nous aimions quand nous allions encore à l’école. C’était limité pour nous, avec notre âge et notre époque, au milieu des années 80. Nous avons commencé à parler d’ambiances comme celle de « Everybody Wants to Rule the World » de Tears for Fears, puis de « The Unforgettable Fire » de U2, pendant la période Brian Eno, « Life’s what you make it » de Talk Talk aussi. Nous avons commencé  commencé à jouer ces morceaux en studio et à nous dire que nous pourrions faire quelque chose dans cet esprit. Pouvoir faire ça avec certaines de nos chansons en y intégrant des idées issues de ce style de production nous rendait enthousiastes.

Andy Bell © Cal McIntyre
Andy Bell © Cal McIntyre

Je suppose que dans les années 90, cela n’aurait pas été considéré comme quelque chose de cool pour Ride d’évoquer Tears For Fears ?

Andy Bell : Oui, exactement. C’était quelque chose dont on ne parlait pas, parce que ça ne datait que de quelques années plus tôt, quand nous nous étions encore littéralement des enfants. Nous avions donc 14 à 15, 16 ans à l’époque. Quand Ride a commencé, c’était environ deux ans plus tard. Et là, on était dans ce qu’on pensait être, je crois, des trucs d’adultes : Sonic Youth. Spaceman 3, Loop, My Bloody Valentine… C’était notre univers. Et les gens ne nous posaient pas vraiment de questions sur les groupes d’avant, et s’ils le faisaient, nous parlions de The Cure, the Smiths, Echo and the Bunnymen… Donc nous sommes restés sur notre voie et nous parlions de choses qui étaient dans cette même lignée, mais c’est aussi lié au fait que tu ne sais pas ce qui va devenir intemporel. Je suis tellement étonné de voir à quel point Depeche Mode sonne encore bien aujourd’hui. Quand tu écoutes leurs disques, ils sonnent toujours frais et nouveaux. C’est la même chose pour ce dont nous parlons maintenant, tous ces disques pop rock du milieu des années 80 qui ont si bien perduré, et d’autres musiques qui semblaient plus actuelles à l’époque, plus excitantes. C’était une façon de redécouvrir cette musique et de l’apprécier à nouveau. Personnellement, je ne me posais pas chez moi pour écouter Tears for Fears ou U2, mais ça fait partie de moi parce qu’à l’époque j’avais leurs albums en cassette. Je faisais mes devoirs en les écoutant et c’était vraiment bien ! C’est comme quand j’ai entendu je ne sais plus quelle chanson de Japan, un autre groupe auquel je n’ai pas pensé pendant 20 ans. J’ai toujours su que Japan faisait de la très bonne musique comme « Ghosts » qui a eu une grande influence sur la dernière chanson de l’album « Yesterday is just a Song », parce que notre producteur voulait en faire une version juste avec une voix et un synthé. Et quand j’ai pensé à ce style d’arrangements, je me suis dit que c’était comme « Ghosts ». Nous avons essayé d’obtenir cette atmosphère.

Depuis vos débuts, vous avez essayé de faire évoluer votre son, vous éloignant assez rapidement de l’étiquette shoegaze pour flirter avec des sonorités plus Classic Rock sur « Carnival of Light » en particulier, puis d’autres plus électroniques ces dernières années. « Interplay » représente-t-il une nouvelle étape dans cette évolution ?

Andy Bell : Oui c’est une autre étape. Mais ces pas ne vont pas toujours vers l’avant, ce sont des pas parfois de côté, parfois en arrière, juste pour essayer autre chose. Et je pense que c’est Erol Alkan qui m’a donné, à moi et peut-être au reste du groupe, la plus grande leçon à ce sujet quand nous avons parlé en 2016 de travailler ensemble. Il nous a dit :  » Vous savez, je veux que Ride soit un groupe qui joue sur ses points forts « . Puis il nous a dressé la liste de nos atouts, une batterie vraiment puissante, des voix harmonieuses, des guitares bruyantes, une musique atmosphérique avec des lignes de basse mélodiques. Il a énuméré tous les attributs du son des débuts de Ride, le sous-entendu étant que nous avions commencé à nous en éloigner un peu trop, et que nous nous étions rendus coupables d’excès de confiance. En voulant éviter de nous répéter, nous étions engagés dans une sorte de mouvement incessant vers des zones où nous ne devions pas être. Ça ne marchait pas pour nous de faire du Classic Rock parce qu’on se privait de beaucoup de possibilités pour que la force de Ride s’exprime, pour revenir à notre son de base. Nous y avons donc apporté un petit ajustement en 2016. On s’est dit :  » Bon, voilà la voie à suivre « . C’est une zone assez large. Et tant que nous y restons, nous sommes comme au bowling. Tant que la boule reste loin des bords ça va. Et donc tu peux être assez aventureux et différent sans devenir complètement fou, parce que ça va t’éloigner de ce que tu peux faire. C’est le conseil que j’aurais donné à l’ancien Ride dans les années 93/94.

Mark Gardener © Cal McIntyre
Mark Gardener © Cal McIntyre

Oui, c’est vrai que « This Is Not A Safe Place » était plus proche des bords que du milieu. Vous revenez à quelque chose de plus direct aujourd’hui, le ressentez-vous ?

Andy Bell : Je pense que c’est moins avant-gardiste. Oui, c’est plus grand public, plus réconfortant d’une certaine manière. Ce n’était pas le but d’être avant-gardiste pour celui-ci, plutôt de faire une sorte de voyage intérieur. J’aime avoir l’impression qu’il y a une influence extérieure. Donc en dehors de l’histoire, en ce qui concerne notre travail sur l’album « This Is Not A Safe Place » beaucoup de chansons étaient issues d’une période vraiment inspirante où j’étais allé voir l’exposition John Michel Basquiat à Londres. Et ce titre vient de ses graffitis à New York. Il s’agissait du ‘code hobo’, les graffitis sur les murs étaient comme des messages pour les sans-abris, pour leur dire « n’allez pas ici ». « Ici c’est bien ». « Ce lieu est fréquenté par telle catégorie de personnes ». « Mais ce n’est pas un endroit sûr – – – », avec trois tirets. Nous avons donc utilisé cette iconographie, ce symbolisme, et j’ai trouvé ça vraiment intéressant. Pour quelques chansons de l’album, j’ai emprunté beaucoup de choses aux idées de Basquiat. Mais, cette fois-ci, il n’y a pas eu d’expositions, pas de voyages, pas d’inspiration extérieure, il n’y avait que nous. C’est ainsi que nous nous sommes battus pour enregistrer ce disque, car c’était parfois difficile. Il a fallu beaucoup de temps avant de sentir qu’un disque allait en aboutir. C’est arrivé plus lentement que d’habitude.

Qu’est-ce qui a fait la différence ? Est-ce le changement de producteur ? Vous aviez Erol Alkan sur les deux premiers albums. Et maintenant, c’est Richie Kennedy. En quoi cela a-t-il changé les choses pour vous ?

Andy Bell : C’était un processus vraiment organique. Au moment où nous avons fait appel à Richie, nous travaillions dans le studio de Mark, sans ingénieur. Nous y avons passé des semaines et des semaines, étalées sur une année entière, avec Mark qui contrôlait l’équipement lui-même, ce qui signifie qu’il ne pouvait pas vraiment jouer, donc c’est devenu un peu difficile de se sentir comme un groupe. C’est à peu près au même moment que nous avions décidé d’improviser ensemble, et nous en étions un peu arrivés au bout. Nous avons alors voulu faire appel à quelqu’un pour nous aider à enregistrer la musique. Ainsi, nous pouvions jouer tous les quatre. Puis nous avons commencé à travailler sur les chansons, comme « Last Night I Went Somewhere to Dream ». C’est là que tout a commencé à se mettre en place. Et je pense que quand Richie est venu nous aider il a cru qu’on l’engageait pour faire un disque. Ça venait plus de lui que de nous, parce que nous n’étions pas encore arrivés à ce stade, qui se rapprochait très lentement. Sa présence a été assez galvanisante, il a donné un élan à tout cela. Lorsqu’il est arrivé, il s’est dit : « Ok, faites-moi une playlist sur SoundCloud de tout ce que vous avez fait jusqu’à présent en studio, toutes les versions des mêmes chansons, toutes les différentes choses qui ont été faites ». Il ressortait donc des morceaux que nous avions oubliés et nous disait : « Travaillons sur celui-ci, ou sur celui-là ». Et à partir de là, nous avons commencé à sentir qu’il voyait l’album comme une collection de chansons. Il disait aussi qu’il nous fallait une ballade. La ballade qu’il a conservée était la chanson finale, mais la version que nous avions à l’origine était une chanson rock avec un groupe complet. « Yesterday is not a Song » n’était pas une ballade, c’était un grand morceau de rock puissant. Et il a dit : « Non, non, ça devrait être juste une voix et un synthétiseur » !

Je crois qu’il vous a aussi aidé à restructurer « Last Frontier » ?

Andy Bell : Oui, et en fait nous ne voulions même pas faire cette chanson. On avait l’impression que le morceau était bon à jeter et je n’étais pas vraiment satisfait de la façon dont les paroles et la mélodie fonctionnaient jusqu’à ce que nous enregistrions les voix. En fait, cette histoire se divise en deux parties. Pour revenir un peu sur la chanson, « Stay Free » j’avais quelques lignes de paroles sous les yeux, j’ai chanté et improvisé de différentes façons sur ces mêmes lignes tout au long de la chanson. Quand je l’ai entendue quelques jours plus tard, je me suis dit que ça marchait bien comme ça. J’ai donc gardé cette structure qui est devenue le titre. Puis, en faisant « Last Frontier », c’était la même chose. J’avais les paroles sous les yeux. On a fait les première prises, mais  je ne me sentais toujours pas inspiré par cette chanson. Je me suis dit qu’il fallait que je l’explore un peu, que j’aille voir où je pouvais aller, alors j’ai continué à essayer des choses au micro des mélodies et d’autres choses. Juste les mêmes mots mais de manières différentes, et j’avais l’impression que Richie m’encourageait en disant : « Oui, ça marche. Continue ». Donc nous avons fait tous ces enregistrements puis nous les avons assemblés, comme un puzzle, avec les bons passages captés ici et là pour obtenir cette nouvelle version qui était une toute nouvelle interprétation de la même chanson. Je l’ai ensuite apprise et chantée. C’était très intéressant, il y a quelque chose de frais dans « Last Frontier » quand on l’entend, comme c’est probablement l’une de mes préférées de l’album maintenant, parce que je repense toujours à ce moment.

Loz Colbert © Cal McIntyre
Loz Colbert © Cal McIntyre

« Peace Sign » a été inspiré par les escalades de Marc-André Leclerc. C’est toi qui en as écrit les paroles, je crois ?

C’est inspiré d’un moment précis du film. Le film parle d’escalade libre, sans corde ni tout le reste. J’adore ce film, je l’ai trouvé génial et j’ai vraiment aimé sa personnalité qui est passionnante. Et quand on regarde un film, je pense qu’en tant que spectateur on cherche à s’identifier à quelque chose. Et tu trouves cette partie du personnage que tu as aussi en toi. Pour moi, le moment qui m’a le plus touché est celui où il se préparait à faire l’une de ses très grandes ascensions dangereuses, quelque chose que personne n’avait jamais fait auparavant. Il attendait les bonnes conditions météorologiques dans la région où se trouvait cette paroi rocheuse, à quelques kilomètres de là, chez un ami à lui et sa famille. A ce moment-là il est comme dans une sorte de temps mort, mais ce n’en est pas un. Il est constamment en train de se demander quand il va faire cette escalade et se prépare mentalement à ce grand danger. Pendant la journée, il joue avec ses enfants et son chien, il mange et boit une bière avec son ami. Mais au fond de lui, il se dit toujours : « Bientôt, je vais le faire ». Je me suis donc demandé ce qui pouvait pousser quelqu’un à faire quelque chose d’aussi dangereux. En fait, c’est la volonté d’entrer dans un état de flux, où l’on oublie le reste du monde, où tous les bruits s’estompent et où l’on est simplement capable d’être dans un état de calme. On trouve ça de différentes manières. Pour ma part, je le trouve en faisant de la musique, et j’en fais de manière obsessionnelle, comme si la musique était la thérapie dont j’avais besoin, une sorte de remède contre le bruit qui remplit ma tête au quotidien. Je peux donc toujours me tourner vers elle parce que ce n’est pas tant le contenu qui compte. En fait, ce ne sont pas tant les paroles d’une chanson qui comptent mais plutôt l’acte de faire de la musique qui m’emporte, parce qu’il permet à ma concentration d’aller quelque part où il n’y a pas d’autre distraction. Et je pense que c’est le même sentiment. J’ai de la chance que ma façon ne soit pas physiquement dangereuse parce que tu peux voir que pour lui c’est comme ça, il doit continuer à essayer et à se mettre dans cette situation, c’est vraiment le seul moyen pour lui d’en arriver là, un peu comme une méditation. Quand je fais une chanson, je dois m’asseoir devant un ordinateur et l’éditer pendant des heures, c’est la chose la plus difficile de se repasser les paroles par exemple. Tu passes par huit interprétations d’une chanson et elles se retrouvent toutes empilées là, à neuf heures du matin. Tu prends ton café, tu t’assois devant l’ordinateur et tu te dis, « aujourd’hui c’est une journée dédiée à l’édition », tu écoutes ce qui sonne bien ou mal, quel est le bon timing, tu passes tout en revue ou tu choisis les meilleurs morceaux. Tu restes assis, le temps passe et la première chose que tu vois, c’est que le café est froid. Il est 11 heures et demie… Deux heures et demie écoulées en un rien de temps !

Steve Queralt © Cal McIntyre
Steve Queralt © Cal McIntyre

Vous êtes revenus avec trois nouveaux albums et pourtant, comparé à votre situation dans les années 90, le monde a complètement changé. Est-il plus difficile d’être musicien et d’en vivre aujourd’hui, même si Ride a une longue histoire couronnée de succès ?

Andy Bell : Le business tel que nous le connaissions a complètement changé. Nous nous sommes séparés au milieu des années 90 et en l’an 2000, quand Napster est arrivé, ce fut le début de l’époque où la musique enregistrée est devenue gratuite. On ne peut pas changer ces choses aujourd’hui. On ne peut pas faire marche arrière. Il y a des gens qui veulent toujours un produit physique. Le vinyle a donc encore une vie et je suis quelqu’un qui aime le vinyle. C’est une amusant parce que le reste de la vie est de moins en moins centré sur les objets. Par exemple, nous n’avons plus vraiment d’albums photos, ni de livres. Mais il y a toujours le vinyle qui est spécial et qui sonne toujours très bien. Ma vie musicale se résume donc à ce que j’écoute sur Spotify. En fait, si je me retire de mon rôle de musicien, je ne suis qu’un fan. Je l’utilise très bien et l’algorithme est incroyable. J’ai découvert de la musique grâce à Spotify. Et en fait, dans un magasin de disques, je prends un disque et puis j’essaie de trouver d’autres recommandations à partir de ça, mais c’est un lieu différent, un monde différent. Donc oui, ça s’appelle le progrès. La musique est plus accessible et cela signifie que si tu as 10 Euros par mois à dépenser, ou même gratuitement, tu as accès à la plupart de la musique enregistrée. Pour les groupes il n’y a plus vraiment moyen de gagner de l’argent avec les disques à moins d’être énorme, je suppose. Pour nous, ça dépend de ce que tu dépenses pour faire le disque, mais il faut vraiment le voir comme une excuse pour partir en tournée. Je ne sais pas ce que ressentent les jeunes groupes mais j’ai grandi à une époque où la vie d’un groupe était dominée par les albums. Si tu penses aux Beatles, ça en fait 10 ou 11, et David Bowie encore plus. En tant que fan de musique, c’est comme ça que je m’y relie. Il s’agit du voyage que tu entreprends. C’est toujours ce que je ressens à l’égard de Ride. Je ne sais pas si les gens qui ont 15 ans aujourd’hui et qui écoutent Ride vont sur les platerformes de streaming. Ont-ils une idée de ce qu’était un album avant ou ont-ils juste aimé des morceaux ? Je ne sais pas. Mais ça n’a pas vraiment d’importance et ce n’est plus vraiment mon monde. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir ce que ressent un jeune qui n’a pas d’à priori sur tout ça.

Il y a beaucoup de groupes de votre époque qui sont revenus sur le devant de la scène ces dernières années. Et certains d’entre eux, comme Slowdive, sont considérés comme des  références, des légendes. Comment voyez-vous cela ? Le ressentez-vous dans la manière dont votre musique est perçue et accueillie aujourd’hui par la jeune génération ?

Andy Bell : Je ne peux pas nous voir comme des légendes. Je ne peux pas. Je ne pense pas que ce soit possible. Nous sommes trop gaffeurs, notre musique est trop erratique. C’est le cas pour Ride. Mais quand je pense à Slowdive, je me dis qu’ils sont légendaires, parce que Slowdive est très pur. C’est comme les Cocteau Twins. Tu dis leur nom et tu peux les entendre. L’atmosphère est là, c’est essentiellement un sentiment. Et Slowdive, c’est la même chose. C’est comme si tu savais exactement quelle est l’humeur, l’atmosphère, et je suis tellement fier de ce groupe qui n’a cessé de s’améliorer, je pense qu’ils ont vraiment trouvé leur public maintenant. D’une certaine manière, ce n’était pas le cas dans les années 90. Ils ont vraiment été malmenés à l’époque. Depuis leur retour, ils semblent devenir de plus en plus forts, c’est devenu un groupe culte avec une aura autour de lui. Je ne sais pas si Ride a une aura ! Je pense que notre musique est bonne et que nous sommes un bon groupe en concert, et toutes ces choses-là… Avec peut-être un ou deux grands albums…

Propos recueillis à Paris le mardi 19 mars 2023

Un grand merci à Andy Bell de Ride ainsi qu’à Léola de Pias France pour avoir rendue cette interview possible..

Pour plus d’infos :

Chroniques :

Interplay (2024)
This Is Not A Safe Place (2019)
Weather Diaries (2017)
OX4 – The Best Of Ride (Box Set – 2001)
Going Blank Again (1992)
Nowhere (1990)

Le Trianon – Paris – jeudi 13 février 2020

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