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Billie Marten : « La nature a toujours été pour moi quelque chose de sacré »

Billie Marten, c’est l’instant douceur que l’on s’est beaucoup accordé cette année, suite à la sortie de « Feeding Seahorses By Hand » en avril dernier. Elle n’avait pas encore 20 ans à ce moment-là, mais elle dévoilait déjà son deuxième album, un disque bercé par la musique Folk de son enfance et bien au-delà. De sa nouvelle vie à Londres au passage à l’âge adulte, elle nous raconte la genèse de ce disque aussi séduisant qu’apaisant, de quoi nous faire oublier la frénésie du monde…

Billie Marten - Interview - Paris, lundi 4 novembre 2019

Avant de commencer à parler de ton nouvel album, pourrais-tu te présenter un peu au public français qui ne te connaît peut-être pas encore, d’où tu viens et comment tu as commencé à faire de la musique ?

Billie Marten : Salut ! Je m’appelle Billie Marten. Je suis une auteure compositrice originaire du Yorkshire, en Angleterre. C’est grâce à ma famille que j’ai commencé la musique. Mon père m’a appris la guitare quand j’avais 7 ou 8 ans et j’avais l’habitude m’asseoir pour écrire des chansons, c’est tout ce que j’aimais faire. Puis avec le pouvoir de YouTube et d’internet j’ai fait connaître ma musique et me voilà !

Quelle était la musique que tu écoutais en grandissant ?

Billie Marten : Un peu de tout vraiment. Beaucoup de musique issue de la collection de disques de mes parents. J’ai grandi avec tout ce qu’ils écoutaient et avaient aussi grandi avec. Du côté de mon père c’était beaucoup de Classic Rock, et un peu de Rock progressif aussi, ce n’était pas ce que je préférais. Il adorait King Crimson et pas moi, mais sinon c’était surtout de la bonne musique : The Beatles, Pink Floyd, The Who, David Bowie… Du côté de ma mère je pense que c’était plus des voix féminines avec lesquelles j’ai commencé à chanter, comme Kate Bush, Joni Mitchell, et des choses un peu plus Punk également come Suzi Quatro, Sex Pistols… Tout cela formait une gamme complète. Mon frère a 10 ans de plus que moi, il m’a donc apporté avec son époque musicale aussi, ce qui m’a permis de découvrir plus de groupes de la scène actuelle qu’avec mes parents.

Composer un album folk pour une personne de ton âge n’est pas forcément quelque chose de très commun, te sens-tu parfois en décalage avec les gens de ta génération ?

Billie Marten : Ha oui, je dirais tout le temps ! Mais en grandissant aucun de mes amis n’était vraiment passionné par la musique, ça se résumait juste à ce qu’ils entendaient dans les Charts, ou lorsqu’ils sortaient. Ils étaient très fortement influencés par la Pop. Il y avait bien 2 ou trois gamins Indie, mais ils ne faisaient pas de musique. A l’école personne n’avait un instrument à part moi ! Je suppose que je me suis toujours sentie éloignée de mon entourage et de mon groupe d’âge.

Ton premier album est sorti alors que tu étais encore très jeune, 16 ou 17 ans je crois, te sentais-tu prête pour ce grand saut dans le monde de la musique ? Quel regard as-tu de ces premiers jours ?

Billie Marten - Interview - Paris, lundi 4 novembre 2019Billie Marten : C’était assez flou, tout allait très vite. J’étais encore en plein cursus scolaire lorsque l’album est sorti. C’était deux mondes complètement différents, je révisais et mon album passait à la radio. C’était une époque très déroutante. Pour être honnête, je ne comprenais pas encore le poids que pouvait représenter la sortie d’un album. C’était juste ma première collection de compositions. Et c’était tout pour moi, parce ces chansons allaient des mes premières, écrites à l’âge de 13 ou 14 ans, jusqu’à celles composées juste avant l’enregistrement. Des chansons comme « Live » et « Hello Sunshine » sur le premier album sont arrivées très tard. C’était juste une chronologie de ma musique jusque-là.

Tu viens d’une ville assez petite, penses-tu qu’elle t’a préservé de la frénésie de villes comme Londres ?

Billie Marten : Oui, Ripon est la deuxième plus petite ville d’Europe ! (ndlr : après vérification, il s’agit de la quatrième plus petite d’Angleterre, mais aussi de la plus vieille du pays). C’est un endroit calme et protégé. Je suppose que je n’avais pas d’appétit pour Londres au début, j’y étais plutôt indifférente parce que l’oxygène, les champs et les moutons m’auraient manqué. J’avais l’impression que Londres était un endroit plein de comparaisons immédiates en musique. Tu sentais que ce n’était pas seulement toi, mais toi au milieu d’un million de personnes. J’y allais beaucoup, deux ou trois fois par semaine, puis je rentrais en train et remettais mon uniforme pour aller à l’école ! Cette première expérience en studio était dingue, mais je suis contente d’avoir eu le courage de dire : « Je dois rester ici parce que c’est de là que je viens ». Une grande partie de la musique se trouve à Londres, mais ce n’est pas là que se trouve mon foyer.

Et maintenant, je crois que tu vis à Londres ?

Billie Marten : Oui… Oups !

Quels effets cela a-t-il eu sur ton écriture ?

Billie Marten : Un effet majeur. Je pense qu’avant ça je n’avais pas tellement de sujets sur lesquels écrire. Là où je vivais c’était assez descriptif, pastoral, songeur. A partir du moment où j’ai commencé à aller à Londres plus fréquemment j’ai commencé à vivre dans le présent. Tout se passe dans l’instant et tu n’es qu’un petit poisson dans une très grande mare. Donc mes textes sont devenus plus actuels, et légèrement plus politiques. Je pense que j’étais surtout plus consciente des choses donc mon écriture est devenue plus directe.

C’est intéressant de te voir chanter sur la nature ou des choses simples de façon poétique, dans un monde où nous la voyons comme quelque chose qui pourrait se perdre à jamais dans quelques années, qu’est-ce que ça te fait ressentir ?

Billie Marten : J’ai justement lu hier soir dans l’un des livres de l’Extinction Rebellion (https://rebellion.global/) que 30 % des terres arborées du monde sont aujourd’hui complètement désaffectées. Il n’y a pas du tout d’animaux sauvages, les cultures ne peuvent pas pousser et rien ne peut vivre sur ces terres. 30% ! C’est tellement triste. La nature a toujours été pour moi quelque chose de sacré et presque intouchable parce qu’elle a ce pouvoir sur toi. Je ne sais pas comment tu te sens quand tu regardes la mer mais la nature sauvage a tant de pouvoir sur l’homme et nous avons pourtant cette capacité à détruire quelque chose qui en sais bien plus que nous et qui est là depuis bien plus longtemps que nous. Ça me rend vraiment très triste la plupart du temps. C’est pour ça que les très grandes villes sont un combat pour moi. Il y a des parties de Londres où je ne peux pas aller parce que c’est trop élevé, trop bruyant, tu ne peux pas respirer… J’ai la chance de vivre dans un tout petit quartier de Londres donc c’est un bon compromis. Mais oui, c’est évidemment un très gros problème.

Billie Marten - Interview - Paris, lundi 4 novembre 2019Tu as choisi d’appeler ton album « Feeding Seahorses By Hand », y-a-t-il une raison derrière cela ?

Billie Marten : Oui, je crois qu’il a des références à la mer dans à peu près toutes mes chansons ! Mais j’aimais juste vraiment beaucoup cette image. C’est ma mère qui en a eu l’idée. Elle m’a appelée un soir et elle m’a dit : « Je l’ai ! J’ai le titre ! ». Et à ce moment-là je n’avais même pas encore un album, c’est arrivé très tôt. Elle a dit « Feeding Seahorses By Hand » (Nourrir les hippocampes à la main, ndlr). C’est parce qu’elle regardait un programme animalier à la télévision. J’ai beaucoup aimé cette image car tu n’y penses pas avant. Je ne crois pas que des gens l’aient imaginé, donc tu adaptes la musique à cette image qui est très spécifique. Dès lors, tu sais immédiatement que ce sera ça le titre, et rien d’autre.

Comment s’est passé l’écriture de ce nouvel album, je suppose que ce fut différent du premier quand tu étais encore très jeune, maintenant tu as probablement plus de choses à dire ?

Billie Marten : Oui beaucoup plus à dire, et j’ai rencontré beaucoup plus de monde qu’à l’époque. Je suppose que l’écriture du premier album était très clairsemée, très sporadique. Juste une chanson tous les deux ou trois mois, parce que j’étais en train de m’y habituer et j’essayais de comprendre que c’était quelque chose que je pouvais faire. Donc la deuxième fois, ce fut beaucoup plus fluide et régulier, je suppose. Mais nous n’avons enregistré que des démos très simples, la production a été minimale cette fois-ci, mais c’était une super expérience, oui.

Le disque commence avec « Cartoon People ». Il y a une référence à Donald Trump sur ce titre, pourquoi as-tu choisi d’être un peu plus politique sur une seule chanson ?

Billie Marten : Je me souviens juste être assise à la maison dans le Yorkshire et me sentir assez frustrée, et j’aime fantasmer sur les hommes puissants, parce que j’ai l’impression que ce sont des bébés en costume. J’aime peindre une caricature sur quelque chose de sérieux, c’est l’angle que j’ai choisi pour « Cartoon People ». Et il y a aussi ces paroles de Paul Simon qui disent : « Je ne veux pas finir en caricature dans un cimetière de caricatures » et j’aimais vraiment cette idée. (« Don’t want to end up a cartoon / In a cartoon graveyard” sur “You Can Call Me Al”, ndlr). Mais c’était juste une coïncidence, après avoir écrit ce morceau. J’aimais juste le fait d’être assez directe à travers une chanson et c’était quelque chose que je n’avais jamais fait auparavant.

Les paroles de « Mice » sont particulièrement tristes et pleines de doutes, peux-tu me dire ce qui a inspiré ce titre ?

Billie Marten : « Mice » a été difficile. En fait j’ai détesté cette chanson quand je l’ai écrite. Je pensais que ce n’était pas bon, une mauvaise chanson. Je traversais une période assez sombre et je me suis rendue en Cornouailles, sur la côte sud-ouest de l’Angleterre. C’était en février, il y a peut-être 3 ans, et j’y suis allée avec des stylos et une guitare et j’ai essayé d’écrire. Mais ça n’a pas été très fructueux. Le temps était horrible et c’est une chose qui m’affecte vraiment, donc ça n’a pas été très bon pour mon humeur. Et je pense que c’est le sujet de « Mice ». Je me sentais isolée. Et puis ensuite, je la jouais à la maison, chez mes parents, en essayant de l’achever, et mon père a entendu le refrain à travers la plafond et m’a demandé « Qu’est-ce que c’est ? ». Je lui ai dit « C’est juste moi, ce n’est pas très bon ! ». Il a répondu « Non, non, rejoue-la ! ». Je pense que c’est lui qui l’a sauvée, elle ne serait pas sortie sinon.

Tu as enregistré l’album avec le producteur renommé Ethan Johns, peux-tu me parler de ton travail avec lui, comment était-ce ?

Billie Marten : Ça s’est bien passé ! C’était vraiment doux et naturel. Nous l’avons fait chez lui à Bath, et je suis restée avec lui pendant tout le processus qui a duré peut-être dix jours. Nous avons tout enregistré sur une table analogue 4 pistes en deux jours et nous avons ensuite construit autour de chaque chanson en y ajoutant des instrumentations, pas mal de boîte à rythme notamment, c’est quelque chose que je n’avais pas utilisé auparavant. Mais c’est aussi un grand batteur, donc j’ai apprécié le fait de travailler avec un producteur qui sache aussi très bien jouer de la batterie, parce que moi je ne peux pas. Ajouter cette dynamique avec un nouveau batteur m’a fait du bien.

Et il semble que beaucoup d’instrument inhabituels ont aussi été utilisés ?

Billie Marten : Oui, nous avons utilisé beaucoup d’instruments d’enfants, des jouets que nous avons mis dans la chambre d’échos en studio, ce qui les a changés en instruments vraiment sombres. Il y en fait beaucoup de « Joyeux anniversaire » en arrière-plan mais on ne peut pas le deviner. Nous avons aussi utilisé cet instrument qui s’appelle « forêt métallique ». C’est une boîte faite à la main avec beaucoup de laiton et d’acier, des frottements la traversent et tu joues en quelque sorte « avec la forêt ». Ça crée une sorte d’atmosphère orageuse, donc c’était amusant. J’aime les sonorités faites à la main, je les trouve meilleures que les digitales.

Derrière son atmosphère plutôt joyeuse, « Blue Sea, Red Sea » est l’une des chansons les plus touchantes de l’album, que peux-tu me dire sur celle-ci ?

Billie Marten : Eh bien sur celle-ci je me suis poussée à écrire la chanson la plus joyeuse possible, mais évidemment les paroles sont naturellement sombres parce que j’aime bien juxtaposer les deux. Je venais de m’installer à Londres quand j’ai écrit « Blue Sea, Red Sea ». Je n’étais vraiment pas sûre de moi à l’époque, et j’avais le mal du pays, c’est une chose que je n’avais jamais vraiment ressentie auparavant. Il y a donc beaucoup de références du genre « j’aimerais que ma mère vienne me chercher ». J’avais l’impression d’avoir beaucoup de visages – d’où le mot makeup dans les paroles – puis de retirer tout ce maquillage et de plonger dans la mer Rouge, ou quelque chose comme ça… J’avais l’impression que c’était beaucoup d’efforts d’être présentée dans un monde tout le temps. Et « Blue Sea, Red Sea » est aussi une référence au pèlerinage juif vers la Mer Rouge. J’ai juste pensé que c’était une chose merveilleuse de vivre cette expérience qui vous arrache littéralement la peau. Tous les mauvais sentiments ont disparu et à ce moment-là, j’avais envie de quelque chose comme ça.

En tant que Français, je dois te demander pourquoi tu as écrit la chanson « Toulouse », à propos de notre peintre Toulouse-Lautrec, « petit et drôle » dans tes paroles ?

Toulouse-Lautrec " Le lit"
Toulouse-Lautrec  » Le lit »

Billie Marten : Il a l’air drôle, n’est-ce pas ? Eh bien c’est l’un de mes artistes préférés de tous les temps. Il y a cette peinture qui s’appelle « Le lit » qui a toujours été au-dessus du lit de mes parents à la maison, donc j’ai littéralement grandi en voyant cette image, et je l’ai également étudié pour le baccalauréat. Mais « Toulouse » était en fait cette idée qu’il était toujours l’inconnu dans une situation sociale dont il était éloigné. Et c’est ce que je ressens la plupart du temps. Et quand je l’ai écrite je travaillais dans un pub à Londres, afin de pouvoir composer, trouver de l’inspiration. C’est ce qu’il faisait. À chaque fois que j’étais au travail, je ressentais cette comparaison entre quelqu’un comme lui et quelqu’un comme moi. Il s’agit littéralement d’un poème d’observation sur les gens qui entrent et sortent de ce pub, comment j’ai pu observer ce qui se passe à l’intérieur et voir le tableau dans son ensemble, ce que personne d’autre ne pouvait voir. Et c’est aussi un petit jeu de mots avec « To lose » parfois quand je la chante.

Peut-on voir ton album comme un journal intime ?

Billie Marten : Je suppose que les albums le sont tous d’une certaine façon. Sur le second certaines chansons ne parlent pas de moi du tout mais j’étais en train de me forger cette personnalité. Par exemple sur « She Dances » c’est intéressant de mettre cette voix à la première personne, et évidemment il y a « Vanilla Baby » et « Cartoon People » qui sont plus directes. Mais oui, ce sont toutes des chansons de journaux intimes.

Et que peux-tu me dire sur l’artwork de l’album, cette image chaleureuse, le bain, les oranges….

Billie Marten : Je ne sais pas si tu connais cette artiste de New York qui s’appelle Lee Price. Elle fait de gigantesques peintures hyper réalistes qui ressemblent vraiment à des photos. Ses sujets sont toujours des femmes dans un bain, ou au lit, vues d’au-dessus. Elles sont toujours en train de manger, entourées de nourriture. Je me suis dit que c’est un image que personne ne voit jamais vraiment, personne ne peint les femmes de cette façon. Elles sont toutes dans des situations et des espaces assez vulnérables et privés. J’aimais l’idée de créer un univers non pas à partir de là mais vu d’au-dessus. Sur la pochette arrière de l’album nous avons attaché un appareil photo au plafond et décoré une salle de bain nous-mêmes en deux heures. Je voulais créer cette scène parce que c’est ce à quoi l’album ressemblait pour moi. Ma photographe Katie Silvester a fait tous les visuels et nous avons fait toutes les photos du livre ensemble. J’aime beaucoup le fait que ce soit très cohérent, ainsi tout prend son sens.

Lemon Slices III de Lee Price
Lemon Slices III de Lee Price

L’été dernier, tu as tourné avec Snow Patrol, ce qui t’a probablement permis de jouer devant un public beaucoup plus large, comment as-tu vécu cette expérience ?

Billie Marten : C’était fou ! On a parcouru environ 17 000 miles dans un camping-car en 10 jours, mais les concerts étaient incroyables. Je n’avais jamais joué devant 3000 ou 400 personnes auparavant. Ça m’a permis de dépasser certaines peurs. Je suppose que ce n’étais pas la meilleure collaboration musicale du point de vue du public, mais je l’ai abordée comme une expérience de tournée plutôt que de me dire que c’était mon univers musical. J’étais juste avec Jason, mon tour manager, il avait une demie batterie et jouait de la guitare électrique. Il a emmené la basse mais personne n’était là pour en jouer ! C’était très difficile, mais une bonne expérience.

Propos recueillis à Paris le lundi 4 novembre 2019

Un grand merci à Billie Marten ainsi qu’à toute l’équipe de Sony Music France. Crédits photos © Katie Silvester

Pour plus d’infos :

Lire la chronique de Feeding Seahorses By Hand (2019)

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